Le vertige de l’oubli – recension

Lu dans Mondafrique, un superbe article consacré à la nouvelle parution aux Editions les défricheurs de mon roman « Le Caire à corps perdu ». Ces très belles lignes, sous la plume de Jean-Jacques Bedu, comptent sûrement parmi ce qui a été écrit de plus subtil et de plus profond sur cette expédition dans la mémoire cairote. Extraits:
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« Le roman s’ouvre sur une dissonance, une anomalie dans le cours ordinaire de la pensée: l’incapacité soudaine du narrateur, Nassi, à se remémorer un passage d’un poème qu’il chérit et connaît pourtant intimement. Ce blanc dans sa mémoire, cette “feuille blanche” qui interrompt le flux fluide de la récitation, est plus qu’un simple oubli, il est un signe avant-coureur, une fissure dans l’édifice de son identité, préfigurant l’amnésie traumatique qui le frappera quelques années plus tard, à son retour au Caire.
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Nassi, dépossédé de son passé, est condamné à errer dans un présent incertain, à la recherche de fragments de lui-même dispersés dans les méandres de sa mémoire et dans les ruelles labyrinthiques du Caire. Heureusement, il n’est pas seul dans cette quête. Sett Baheyya, la chaleureuse tenancière de la pension où il trouve refuge, l’entoure d’une affection maternelle, lui offrant un havre de paix dans la tourmente. Faouzi, l’étudiant en médecine, et Azza, la brillante étudiante en sciences politiques, avec leur énergie et leur humour, deviennent ses compagnons de route, l’aidant à déchiffrer les énigmes de son passé. Même le taciturne Sélim, et la discrète Khadra, apportent leur contribution à cette quête identitaire, chacun à leur manière, tissant autour de Nassi un réseau de solidarité et d’amitié.
[…]
Le Caire, plus qu’une simple toile de fond, s’impose comme un personnage central du roman, un acteur à part entière de la quête identitaire de Nassi. Loin d’être un décor passif, la ville devient un miroir déformant, un labyrinthe reflétant la confusion qui règne dans l’esprit du protagoniste. Ses ruelles tortueuses, ses impasses énigmatiques, ses quartiers tentaculaires qui s’étendent à perte de vue, semblent se refermer sur lui, dans un dédale d’incertitudes. Chaque pas qu’il effectue dans cette ville palimpseste, où les strates du passé et du présent se superposent et s’entremêlent, le confronte à son amnésie, à l’absence béante qui le hante.
Khaled Osman nous livre une description sensorielle saisissante du Caire, une ville qui oscille entre tradition et modernité, entre le charme suranné des quartiers anciens et l’agitation frénétique des nouvelles avenues. Les odeurs âcres et envoûtantes de foul et de koshari se mêlent aux effluves suaves du thé à la menthe, créant une symphonie olfactive unique, enivrante. Le bruit incessant des klaxons, la clameur des marchands ambulants, le murmure des prières qui s’élèvent des mosquées, composent une musique urbaine chaotique et envoûtante. La chaleur étouffante de l’été cairote, palpable, oppressante, s’insinue dans les pores, exacerbant les sensations, amplifiant les émotions. Cette immersion sensorielle totale nous transporte au cœur de la métropole, nous fait ressentir la pulsation frénétique de la ville, son énergie brute, sa vitalité chaotique.
[…]
« Le Caire à corps perdu » transcende l’intrigue policière pour nous entraîner dans une quête universelle, une exploration des méandres de l’identité contemporaine. L’amnésie qui frappe Nassi, loin d’être une condamnation, se révèle être une forme de libération paradoxale, un moyen de se défaire du poids du passé. Mais cette “forme de liberté” est-elle une véritable renaissance, une chance de se réinventer, ou un piège subtil, une nouvelle forme d’aliénation? Nassi, “l’Oublieux”, à la dérive dans les rues du Caire, parviendra-t-il à reconstruire le puzzle fragmenté de son identité? Et quelle vérité, peut-être enfouie au plus profond de lui-même, émergera des profondeurs de son oubli? Ce beau roman nous laisse en suspens, face à l’inconnu, à l’image de Nassi, un Ulysse moderne naviguant dans les eaux troubles d’une ville palimpseste et d’une mémoire fragmentée. »
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« Le Caire à corps perdu », Khaled Osman, éditions Les Défricheurs », 2024, à commander ici.
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