« …Alors qu’il parle aussi et surtout quand la nuit tombe et que femme et enfants sont partis se coucher, qu’il a parlé ce soir-là, tellement parlé même, des années après les événements, enfin, lorsqu’ils avaient raconté, se retrouvant seuls et déjà éméchés, comment on avait du mal à vivre depuis, les nuits sans sommeil, comment on avait renoncé à croire aussi que l’Algérie, c’était la guerre, parce que la guerre se fait avec des gars en face alors que nous, et puis parce que la guerre, c’est fait pour être gagné alors que là, et puis parce que la guerre c’est toujours des salauds qui la font à des types bien et que les types bien là il n’y en avait pas, c’était des hommes, c’est tout, et aussi parce que les vieux disaient c’était pas Verdun, qu’est ce qu’on nous a emmerdés avec Verdun, ça, cette saloperie de Verdun, combien de temps ça va durer encore, Verdun, et les autres après qui ont sauvé l’honneur et tout et tout alors que nous, parce que moi, avait raconté Février, tu vois, moi, j’ai même pas essayé de raconter parce qu’il y avait rien pour moi, du boulot à la ferme d’en face, la petite voiture d’où Éliane [son ancienne petite amie qui s’est mise avec un autre alors qu’il servait en Algérie] sortait tous les dimanches vers cinq heures, en revenant de chez ses beaux parents… »
« Des hommes », Laurent Mauvignier, Minuit double.