Lus dans le Nouvel Observateur, les propos tenus à la revue Charles par Pierre Bergé, co-actionnaire du journal Le Monde, dans lesquel il critique sans ambages le… journal Le Monde, et en particulier son supplément littéraire:
« Parce qu’on n’y parle pas de livres. […] J’aime trop les livres pour ne pas penser qu’un supplément littéraire devrait s’ouvrir par un « rez-de-chaussée » tenu par un grand chroniqueur comme c’était autrefois le cas et comme ça l’est encore au Figaro. Monsieur Birnbaum [le rédac chef du Monde des Livres] n’aime pas la littérature. Il aime, ce qui est bien son droit, les sciences humaines, comme on dit. Je n’ai rien contre. Mais c’est rarissime que dans le supplément on parle de livres, de vrais livres. »
Je suis assez d’accord avec ce diagnostic, derrière lequel je perçois, plus que le mécontentement de l’actionnaire s’abstenant d’interférer dans le contenu du journal qu’il possède (ou déplorant de ne pouvoir le faire?), la déception de l’amoureux des livres. D’ailleurs, ceux qui ont connu les heures de gloire du Monde des Livres, avec des pointures comme Nicole Zand ou Bertrand Poirot-Delpech (parmi beaucoup d’autres) ne peuvent qu’être effarés par son indigence actuelle (à de rares exceptions près).
Je suis moins d’accord pour ce qui est de l’attaque contre Éric Chevillard (« Il y a un chroniqueur qui s’appelle monsieur Chevillard, qui se croit un bretteur, et qui croit intelligent de descendre le livre de Giscard d’Estaing, le livre du petit Jardin, des choses qui n’ont pas besoin d’être descendues parce qu’elles n’existent pas. C’est faire des mouvements d’escrime dans le vide […] »).
De fait, Chevillard est un bretteur, et il serait certainement de taille à prendre pour cible des « choses qui existent » – mais ce qui est aujourd’hui un délicieux exercice de style (appliqué à la critique de livre) ne deviendrait-il pas alors une sorte d’amer règlement de comptes entre « vrais » écrivains, dans lequel la littérature n’aurait rien à gagner? D’ailleurs, l’intéressé a répondu à sa manière en consacrant à cette affaire l’une des trois pièces ciselées qu’il publie quotidiennement sur son blog: « Tous les jours, cet octogénaire acrimonieux me casse sa canne sur la tête. Tous les jours, donc, il en est quitte pour en acheter une nouvelle. Quel train de vie! »
Copyright Khaled Osman (avril 2014)