Lu sur le site al-Hewar, un article – en arabe – de la poétesse (et prof d’université) égyptienne Fatima Naout, où elle administre une petite leçon d’histoire et de civilisation à ceux qui prennent leurs compatriotes chrétiens comme boucs émissaires. J’en ai traduit ci-dessous l’essentiel, d’abord parce que cette mise au point me paraît de salubrité publique, ensuite parce que je suis persuadé que le salut viendra des poètes et des poétesses:
« Je participais à la commission d’enquête chargée de faire la lumière sur l’agression sectaire menée contre l’Église de Marinab à Assouan en 2011. Il y avait des manifestations ici et la, des banderoles et des pancartes déployées, de celles dont nous avons pris l’habitude depuis la Révolution.
L’une de ces pancartes a capté mon attention, m’inspirant tour à tour de l’étonnement, puis une envie de rire, puis une volonté de réfléchir, puis enfin une profonde tristesse. La pancarte disait: « Nous exigeons l’expulsion des envahisseurs coptes!!! »
J’ai marché jusqu’à l’homme qui la brandissait à bout de bras, essayant de dissimuler le sourire amer qui, je le savais, avait dû se dessiner sur mes traits. Nous avons alors eu le dialogue suivant:
« Moi: Écoutez, cher ami, vous pouvez librement choisir d’être un malfaisant et de militer pour déporter des citoyens paisibles et les chasser de leur pays. Mais je vous en prie, n’ajoutez pas l’ignorance à la malfaisance. Je ne peux pas vous dissuader de faire le mal, car c’est votre choix dont vous répondrez devant Dieu et devant la loi. Mais mon devoir en tant qu’écrivain défendant les valeurs éclairées est de dissiper votre ignorance. Les mots « copte » et « envahisseur » don’t mix [allusion à une expression utilisée par le président islamiste déchu Morsi, qui avait fait de lui la risée de nombreux Égyptiens]. Car « copte » signifie « égyptien ». Alors comment un Égyptien pourrait-il envahir son propre pays? Soyez aussi malfaisant que vous le voulez, mais ne soyez pas en plus ignorant, car ces deux qualités cumulées en une seule personne sont une catastrophe.
Lui: Comment seraient-ils égyptiens alors qu’ils portent des noms comme Marie, Michael, Kirillos (Cyrille)? Ce ne sont même pas des noms égyptiens! Donc ces gens sont des étrangers.
Moi: Comment vous appelez-vous?
Lui: ‘Abd-el-Rahman.
Moi: Et moi, Fatima. Et si je vous dis que ni mon nom ni le vôtre ne sont des noms égyptiens? Ce sont des noms arabes. Nous les Musulmans attribuons à nos enfants les noms de figures qui nous sont chères et qui ont à nos yeux une valeur sacrée: Mohammad, ‘Aïcha, Fatima, Abou Bakr, Asmaa, ‘Abd-el-Rahman, etc. Les Chrétiens aussi attribuent à leurs enfants les noms de leurs saints: Abanob, Thérèse, Yohanna (Jean), Matta (Mathieu), Chenouda, etc. Selon la logique que vous appliquez – le nom comme preuve de l’origine -, nous ne sommes pas non plus égyptiens. Ça vous va?
Lui: Sans blague! Mais alors, quels seraient les noms égyptiens authentiques, d’après vous?
Moi: Hormoheb, Mina, Zosir, Nefertiti, Nefertari, Isis, Osiris, Horus, Amenhotep, Hathor, Hatshepsout, etc.
Lui: [Il ne dit plus rien et réfléchit à mes paroles.]
Moi: « Copte » ne signifie pas « chrétien ». Vous et moi sommes des Coptes car nous sommes égyptiens! Donc, cher M. ‘Abd-el-Rahman, nous ne sommes pas des envahisseurs. D’accord? »
Il y a de cela un mois, j’ai félicité sur Facebook mes frères et soeurs chrétiens à l’occasion du début de leur grand Carême. L’un des ignares flamboyants qui écument les sentiers du Net, dissimulés derrière des noms d’emprunt (peut-être parce que leur nom leur fait honte), est alors intervenu dans la discussion. L’individu, qui s’était dénommé « Mister Mohammed Zamalkawi** », m’a prise à partie ainsi: « Même si vous étiez kofta* comme eux, vous n’oseriez pas parler comme vous parlez. »
Je lui ai répondu ce qui suit:
« Écoutez, frère Mister Mohammed Zamalkawi, vous voulez sans doute dire « cophte » et non « kofta ». Et bien sûr vous ignorez le sens du mot « cophte », car si vous le connaissiez, vous ne l’auriez pas employé. Vous venez de révéler vous-même au grand jour votre ignorance crasse. Laissez-moi donc vous enseigner une petite chose pour que vous ne dévoiliez pas à l’avenir votre illettrisme, votre antipatriotisme et votre égyptianité déficiente.
Sachez – puisse Dieu vous assister – que « cophtes » ou « coptes » est la déformation du mot grec « aegyptos », lui-même issu du nom pharaonique de l’Égypte, « ha-ka-Ptah », qui signifie « la demeure de l’âme du dieu Ptah ». […] Par conséquent, tout Égyptien issu de la descendance de nos ancêtres pharaons est « cophte », ou encore « copte ». Le fait est que nos frères égyptiens chrétiens se sont attachés à cette dénomination car ils sont fiers de leur identité égyptienne antique, c’est pourquoi les personnes de maigre culture pensent que « copte » signifie « chrétien ». Tandis que nous autres, Égyptiens musulmans, l’avons délaissée par ignorance de nos racines et de notre civilisation grandiose. Sachez donc, monsieur Mohammed (qui vous êtes affublé du titre de « Mister » sans raison apparente), que je suis cophte, car je suis égyptienne tout comme eux. Quant à la foi, elle n’a rien à voir avec l’origine ethnique et l’identité. Moi je suis une cophte musulmane et eux sont des cophtes chrétiens. Quant à vous, si vous ignorez que vous êtes cophte tout comme eux. ce n’est pas un honneur pour l’Égypte de vous compter parmi ses enfants. »
* supporter du club de foot de Zamalek
** « boulette de viande », terme utilisé de manière dépréciative pour désigner les Chrétiens
Copyright Khaled Osman (décembre 2014)