Vues dans Libération d’aujourd’hui, les poignantes photographies de Denis Dailleux consacrées aux martyrs de la Révolution égyptienne, accompagnées d’un beau texte de présentation de Brigitte Ollier:
« Vingt familles endeuillées par la révolution ont accepté de rencontrer l’artiste, accompagné du scénariste Mahmoud Farag, et de figurer dans leur série de triptyques, aux côtés de la victime et de son quartier.
«J’ai vu ces garçons des quartiers populaires qui s’en allaient combattre sans peur de mourir. J’étais impressionné par leur courage. Ils n’avaient rien dans leurs mains, leur peau pour unique bouclier», relate Denis Dailleux. Se posant la question de sa propre bravoure, il décide d’entreprendre un travail de mémoire autour des martyrs de la révolution égyptienne. En janvier 2012, aidé par le scénariste Mahmoud Farag, il parcourt Le Caire en quête de parents dont les enfants sont morts pour leur pays. Vingt familles acceptent de témoigner, dont deux coptes. Les jeunes gens ne sont pas morts sur la place Tahrir, mais dans leur quartier, près des postes de police. Tous ont été tués le vendredi 28 janvier 2011. Parmi eux, Maryam Makram, 16 ans, lycéenne et fiancée, et Hadir Adel Soleiman, collégienne de 14 ans à qui ses professeurs prédisaient «un grand avenir».
Les prises de vue ont duré quatre mois. Rituel : Farag s’entretient avec les familles, pleure tant leurs histoires lui brisent le cœur, partage un thé, et s’absente. «J’intervenais aussitôt après, explique Dailleux, la tension était presque insupportable, je recueillais l’émotion. Moi, j’étais directif, je disais aux parents : « Voilà, asseyez-vous là, et c’est tout. » Rien d’autre. Que pouvais-je dire après Mahmoud ?» Assez vite, il a imaginé sa série en triptyque: les parents, les souvenirs des martyrs, et ce hors-champ, l’extérieur vu de la fenêtre de l’appartement. Trois représentations, trois souffles, il était impossible de retenir la vie en une seule image… S’il a travaillé comme à son habitude, Denis Dailleux, 55 ans, ne voulait pas, cette fois, sublimer la réalité. «Ceux qui ont fait la révolution, ou leurs enfants, sont aussi ceux que je photographie depuis 1992. Je souhaitais être le plus objectif possible. C’est ma dette envers eux et ce pays qui m’a tant donné.» Mahmoud Farag s’est noyé dans la mer Rouge à l’été 2012. Ses textes accompagnent les photos de Denis Dailleux. Corps torturés, balles perdues, cris de désespoir, leur lecture glace le sang. »
«Egypte, les Martyrs de la révolution», livre de Denis Dailleux, Abdellah Taïa et Mahmoud Farag, éd. Le Bec en l’air, 112 pp. Exposition à la galerie Fait & Cause, 58, rue Quincampoix, 75004, jusqu’au 1er mars.
Copyright Khaled Osman (janvier 2014)