Vu au cinéma « Julieta », de Pedro Almodóvar, avec Emma Suárez, Adriana Ugarte, Daniel Grao, Rossy de Palma
Synopsis:
Julieta s’apprête à quitter Madrid définitivement lorsqu’une rencontre fortuite avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antía, la pousse à changer ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antía une semaine plus tôt. Julieta se met alors à nourrir l’espoir de retrouvailles avec sa fille, qu’elle n’a pas vue depuis des années. Elle décide de lui écrire tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours.
Mon avis:
Comme toujours chez Almodóvar, le film repose sur un scénario parfaitement agencé, ici adapté de trois nouvelles d’Alice Munro. Le cinéaste s’est attaché à relier les trois récits – initialement indépendants – en un seul, et, après avoir un temps envisagé de les tourner dans un contexte anglo-saxon, il a finalement transposé l’action à Madrid et en Galice.
Quant à la narration, on subodore qu’il l’a sans doute tirée vers ses propres obsessions, puisqu’on retrouve tous les grands thèmes chers au cinéaste espagnol: le sexe, la filiation, la maladie, la mort… traités comme à l’habitude dans l’outrance – les retrouvailles sont forcément inattendues, les liaisons naissent forcément d’un coup de foudre, les séparations résultent forcément de trahisons…
On peut regretter cependant que la faille entre Julieta et sa fille Antía n’ait pas été explorée plus en profondeur, et que les beaux portraits de femmes aient pour contrepoint des personnages masculins assez caricaturaux (à l’exception peut-être de celui de Lorenzo).
Ce goût de l’excès se retrouve également dans la réalisation, marquée par un esthétisme bourré de références et dont le moindre détail est travaillé avec un soin maniaque: les couleurs crues, les objets d’art sculptés, les espaces architecturaux…
Quand cette outrance était appliquée à ses films les plus subversifs, elle s’accordait bien avec le propos du réalisateur. Or, elle est ici mise au service d’un drame plutôt classique, donnant presque au film le caractère d’un exercice de style, voire d’une autoparodie, et finissant par entraver l’émotion du spectateur.
C’est néanmoins un film qu’on peut prendre un grand plaisir à regarder, si l’on veut bien, pendant quelque deux heures, suspendre son incrédulité.
Copyright Khaled Osman (juin 2016)