« La fillette devint Tania Chtcherbina, elle vécut des vies diverses, à l’étranger, à Paris… Et un beau jour, elle revint à Moscou pour accompagner un groupe de ses nouveaux compatriotes, des Français venus faire une croisière sur la Volga.
— Nous suivions le même itinéraire, nous nous arrêtions dans les mêmes villes. Ces villes dont je me souvenais comme de celles d’un conte, je n’en reconnaissais rien. Et ce que je voyais était effrayant. A Ouglitch, sur le quai, des femmes soûles […] se bousculaient, se battaient: « Où tu vas comme ça, sale pute? » Les maisons… délabrées n’est pas le mot juste, vétustes non plus: mortes. J’étais transie d’effroi, un effroi véritable, je ne savais comment échapper à ce cauchemar. Mais, c’est étrange, juste après ce voyage, j’ai brusquement décidé de rentrer en Russie. Pour toujours.
— Pourquoi? demandai-je. […]
— Partout, il y a du bien et du mal. Mais contre le mal d’ici, nous avons développé notre propre système immunitaire. Alors que là-bas, il y a des choses auxquelles je ne m’habituerai jamais.
— J’ai entendu cela des centaines de fois, sans jamais vraiment comprendre de quoi il était question.
— Je vais vous dire, intervint Tiagny-Riadno qui en avait assez d’écouter nos fadaises. A mon avis, vraiment, vous exagérez.
— Nous édulcorons. »
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Vassili Golovanov, Espaces et labyrinthes, Verdier, traduit du russe par Hélène Châtelain