Vu au cinéma « D’une pierre deux coups », film de Fejria Deliba, avec (notamment) Milouda Chaqiq, Brigitte Roüan, Claire Wauthion, Zinedine Soualem, Linda Prevot Chaïb, Myriam Bella, Slimane Dazi…
Le synopsis:
Zayane a 75 ans. Depuis son arrivée en France, elle n’a jamais dépassé les frontières de sa cité. Un jour elle reçoit une lettre lui annonçant le décès d’un homme qu’elle a connu, autrefois, en Algérie. Le temps d’une journée, elle part récupérer une boite que le défunt lui a légué. Pendant son absence, ses onze enfants se réunissent dans son appartement et découvrent un pan de la vie de leur mère jusque-là ignoré de tous…
Mon avis:
Ne vous fiez pas aux apparences: ce « petit film » n’est pas du tout ce qu’il a l’air d’être (une peinture sympathique quoique probablement convenue de la vie d’une famille originaire du Maghreb en France), mais un très grand film, qu’on suit en retenant son souffle et dont on ressort émerveillé par tant d’intelligence et de force.
Il faut dire que ce projet, la réalisatrice (qui s’est surtout fait connaître comme actrice, d’abord au théâtre – elle a débuté avec Antoine Vitez -, puis au cinéma) l’a longuement mûri, puisqu’elle le porte depuis son court métrage « Le petit chat est mort », réalisé en… 1990. Manifestement, elle a profité de ces années pour concevoir un film magnifiquement maîtrisé, dont elle assure à la fois la réalisation, le scénario et les dialogues.
Le film séduit d’abord par la force de cette histoire et de son personnage principal, cette mère de famille dévouée, enfermée volontaire dans une cité sans joie de la région d’Orléans. Autour de ce noyau central, à la fois fragile et incroyablement solide et déterminé, gravite une pléiade de grands enfants que leur communauté d’origines n’a pas empêché de se bâtir des individualités très différentes. La révélation d’un pan ignoré/refoulé de la vie de leur mère, secret mettant en jeu à la fois le passé intime et l’histoire avec un grand H, vient compromettre ces équilibres.
L’intelligence du film réside dans le fait que cette révélation, tout comme elle est un choc pour les frères et soeurs, interpelle subtilement le spectateur en l’amenant à enrichir sa vision, loin des identités assignées et des préjugés essentialistes (les réactions indignées ou attendries ne viennent pas forcément de ceux qu’on pense) ou des pseudo-évidences martelées (« les Français ont tout perdu en Algérie »).
Mais au-delà même de l’histoire poignante, ce sont la mise en scène et l’interprétation qui séduisent dans ce film. Celui-ci est à l’aise aussi bien dans sa première partie, une échappée sur les routes de France qui soutient la comparaison avec les meilleurs road movies américains, que dans la seconde, une longue scène de repas familial en huis-clos réunissant une douzaine de personnages dans une salle à manger/cuisine de quelques mètres carrés, digne des grands moments de la comédie italienne.
En conclusion, courez-y pendant qu’il en est encore temps!
Copyright Khaled Osman (avril 2016)