Lue sur la page FB de Haisam Yehia (et traduite par mes soins depuis l’arabe), cette petite histoire, idéale pour une collection « ça n’arrive qu’en Égypte » 😉:
« J’avais fait quelques jours plus tôt une demande d’ « historique de déplacements » [attestation recensant tous les voyages précédents de l’intéressé à l’étranger], et désormais il me fallait ce papier d’urgence pour mon rendez-vous fixé le lendemain matin à 9h à l’ambassade.
Au Mugammaa [sorte de siège kafkaïen de la bureaucratie cairote où s’effectuent toutes les démarches d’importance – il en était question dans mon roman Le Caire à corps perdu], ils m’ont délivré un certificat incomplet – il manquait les cinq dernières années. Je suis allé réclamer auprès d’un gradé, qui s’est révélé un chic type. Il m’a adressé à une fonctionnaire, une dame qui dans son apparence avait tout de la mère au foyer.
Bref, avec l’employée, on a pointé les compléments à apporter au certificat, et là-dessus elle a emporté mon passeport et s’est absentée. Une heure a passé, puis deux. Au bout de trois heures, je commençais à être vraiment inquiet. Je suis parti à sa recherche, mais elle n’était nulle part. Interrogé, le gradé m’a dit qu’il n’avait aucune idée de l’endroit où elle pouvait être.
Pour finir il s’est avéré que la brave dame était… rentrée chez elle, embarquant avec elle l’attestation et le passeport.
J’ai réussi à obtenir son numéro de téléphone du préposé au buffet (qui lui-même se l’est procuré par une collègue à elle) et je l’ai appelée. Très gênée, elle s’est excusée à plusieurs reprises. À la fin, elle m’a dit: « Mon fils, le mieux, ça serait que tu puisses venir à la maison récupérer le passeport et le certificat, c’est que moi je suis coincée: les enfants sont rentrés et je dois leur faire à déjeuner« .
J’ai fait le trajet jusqu’à Maaçara [banlieue très pauvre loin au sud de la capitale égyptienne]. Après avoir tourné en rond et m’être perdu abondamment, j’ai fini par arriver jusque chez elle. Je me suis retrouvé assis dans le petit séjour avec trois mômes, leur mère et leur père. « J’aimerais vraiment que tu ne sois pas fâché, ne cessait-elle de me répéter, dans un moment d’inattention, j’ai glissé tes papiers dans mon sac à main et je suis partie en courant pour rentrer à la maison à temps. Quoi qu’il en soit, pour que tu me pardonnes, on va manger ensemble ce plat de pommes de terre au poulet fermier. »
J’étais pressé par le temps, alors je n’ai pris que deux cuillerées de son plat – qui était délicieux à la vérité -, et puis je suis reparti vaquer à mes occupations, tout en me disant qu’il y avait de quoi fondre d’amour pour ce pays. »
Copyright traduction Khaled Osman (décembre 2015)