Vu au cinéma, L’Attentat, co-production réalisée par le metteur en scène libanais Ziad Doueiri, à partir du roman homonyme de Yasmina Khadra.
Bon, on aime ou on n’aime pas Yasmina Khadra, on supporte ou on ne supporte pas (c’est mon cas) son style, il faut lui reconnaître un sens de la dramaturgie. En ce sens, L’Attentat se prêtait particulièrement bien à une adaptation cinématographique, qui s’est pourtant longuement cherchée avant de voir enfin le jour.
Amine al-Jaafari, un chirurgien arabe israélien (c’est-à-dire palestinien), plutôt bien intégré dans la société israélienne où sa compétence lui a valu la reconnaissance de ses pairs et la réussite sociale, découvre un jour avec stupeur que l’auteur de l’épouvantable attentat-suicide dont il vient de soigner les victimes n’est autre que… Siham, sa femme.
Le geste est d’autant plus incompréhensible que tous deux semblaient avoir trouvé une harmonie et partager des valeurs morales communes (une ligne pragmatique et humaniste fondée sur le rejet de la violence de part et d’autre), et qu’ils appréciaient leur vie bourgeoise à Tel-Aviv, avec maison luxueuse er 4/4.
Passés les premiers moments d’incompréhension et de dénégation – « Ça ne peut pas être elle » -, le Dr Amine commence à s’interroger, à se remémorer certains détails, assez pour comprendre que cette image harmonieuse n’était pas exempte de fissures, et que son axiome de départ – « Elle ne peut avoir fait ça puisqu’elle m’aimait! » – se heurte à l’examen des faits: jusqu’à quel point connaît-on véritablement l’être avec lequel on a partagé 15 ans de vie?
Pour finir, il décide d’aller dans les Territoires occupés, afin de confronter ceux qu’il soupçonne d’avoir mis ces idées mortelles dans la tête de Siham. Là-bas, il n’est pas le bienvenu : ses proches lui en veulent de s’être coupé d’eux pour se fondre au beau milieu de ceux qui les oppriment ; quant à ceux qui sont actifs dans la résistance, ils le soupçonnent d’être envoyé par les services de sécurité israéliens pour les démasquer.
Malgré tout, à force d’insistance, il parvient à arracher quelques échanges avec les membres de sa famille, avec un prédicateur islamiste et ses sbires, et surtout avec un curé de Naplouse (Siham est issue d’une famille chrétienne).
Lors d’une scène hypnotique dans une église déserte, ce dernier va amener Amine à se poser toutes les questions qui dérangent: peut-on vivre une existence normale dans un contexte hautement anormal (l’occupation avec son lot de violence et d’injustices)? Peut-on s’intégrer impunément dans une société qui opprime les vôtres, et cette intégration de façade ne vole-t-elle pas en éclats aussitôt que la réalité vient la mettre à l’épreuve? Peut-on se contenter de condamner la violence (pour rendre le dilemme encore plus terrible, cet attentat-là est absolument indéfendable) sans remettre en cause le contexte qui l’a provoquée?
Impeccablement construit et mis en scène, ce film parvient à dépasser l’aspect politique du conflit (sur lequel il ne prend pas parti) pour le transcender en question(s) morale(s). L’interprétation est très convaincante: citons en particulier Ali Suliman (déjà remarqué dans Paradise Now et dans Les Citronniers) et Evgenia Dodina dans le rôle de l’amie israélienne du couple.
Copyright Khaled Osman (juin 2013)