« Je me dis qu’on pourrait appeler Malan.
Miguelinho avait acquiescé en pensant à leur copain perdu tout là-bas dans le froid, quelque part au beau milieu d’une banlieue parisienne.
Vas-y toi, tu veux pas. Appelle-le toi.
Couto avait pris le téléphone et cherché dans le répertoire le numéro. La ligne avait sonné.
On a une mauvaise nouvelle à t’annoncer Malan.
Pauvre Malan qu’ils allaient plomber, il le savait.
[…]
Miguelinho c’est toi.
Couto avait ri d’entendre Malan par-delà les milliers de kilomètres, de pouvoir l’imaginer quelque part dans sa ville là-bas, au milieu des immeubles parisiens et du goudron et des cafés à grandes vitrines et petites tables rondes cerclées de fer. Il avait posé le téléphone et l’avait mis sur haut-parleur, que Miguelinho puisse écouter aussi. Le son était passablement dégueulasse, mais on entendait.
C’est pas Miguelinho, c’est Couto. On est tous les deux sur la terrasse, on pense à toi, t’es où gros naze.
Au foyer, avait dit Malan. Avec des copains. On boit du thé.
Il fait froid je parie. Vas-y t’as combien de kilos de manteaux sur les épaules là, raconte.
Malan avait ri.
Ah les gars je me calerais bien dans une chaise avec vous. C’est pas trop la foire avec les élections, ça va. Je lis les infos sur internet, ça a pas l’air d’aller fort.
Ça va t’inquiète
Vous gérez.
On gère.
Nom de Dieu c’est bon de vous entendre.
Couto avait hésité.
On a une mauvaise nouvelle à t’annoncer Malan.
La voix au bout du fil s’était tue. Ils l’auraient presque entendue se recroqueviller, se crisper par réflexe dans l’attente du coup. Pauvre Malan, pauvres émigrés tous, qu’on n’appelait que pour leur annoncer des décès, des coups d’État, des accidents. »
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Extrait du roman Les grands, Sylvain Prudhomme, Gallimard 2014 et poche Folio 2016. Cet ouvrage avait été notamment récompensé par le Prix littéraire de la Porte dorée 2015.