« Rentrer après toutes ces années était une mauvaise idée, ai-je pensé subitement. Ma famille avait quitté le pays trente-trois ans plus tôt, en 1979. Telle était la faille qui séparait l’homme du garçon de huit ans que j’étais quand ma famille est partie. L’avion allait franchir ce gouffre. Ce genre de voyages est toujours à hauts risques. Celui-ci risquait de me priver d’un talent que je me suis donné beaucoup de peine à cultiver: l’art de vivre éloigné des lieux et des gens que j’aime.
Joseph Brodsky avait raison, et aussi Nabokov et Conrad: des artistes qui n’étaient jamais rentrés. Chacun avait essayé, à sa manière, de se guérir de son pays. Ce que vous avez laissé derrière vous s’est dissous. Retournez-y et vous vous trouverez confronté à l’absence [des êtres aimés] et au sentiment que ce que vous aviez chéri est à présent défiguré.
Mais Dimitri Chostakovitch, Boris Pasternak et Naguib Mahfouz avaient eux aussi raison. Ne quittez jamais votre patrie. Car si vous partez, le lien qui vous unit à votre source sera irrémédiablement tranché. Vous serez comme un tronc d’arbre mort: desséché et creux.
Bon, mais que fait-on quand on ne peut ni partir ni rentrer? »
—————
Extrait (traduit de l’anglais par mes soins) d’un texte de Hisham Matar intitulé Le retour (Lettre de Libye), paru en avril 2013 dans le New Yorker.
© Khaled Osman