Le Livre des Illuminations

Roman de Gamal Ghitany,
présenté, traduit de l'arabe et annoté par Khaled Osman

 

Le temps, vieil ennemi insaisissable… «Tout est en éternelle partance.» Sur ce constat amer s'ouvre le Livre des illuminations, traduit au Seuil quinze ans après sa première publication en Egypte. Une somme inclassable, où des épisodes autobiographiques sans complaisance servent de support à une quête introspective, une réflexion sur l'amour filial, la fuite du temps, et l'oubli.

Apprenant, de retour de voyage, le décès subit de son père, le narrateur terrassé de douleur est amené devant le Divan, triumvirat mystérieux qui a prise sur la course du temps et du monde. Guidé par les esprits supérieurs qui composent le Divan, dont l'imam Husayn, il obtient de pouvoir naviguer d'illuminations en illuminations, retenant le sable du temps quelques instants pour revivre des événements du passé. Un emprunt à la mystique soufie, où l'extase de l'illumination est une des ultimes étapes avant la révélation de la nature divine et l'union avec Allah. Cet abandon de la conscience ouvre la porte des plus grandes libertés, estime Gamal Ghitany. «Dans l'illumination, toutes les frontières sont abolies, le temps disparaît, on peut le tordre, mener à soi le passé, mélanger les époques. L’illumination est création » Pour faire revivre son père, fellah orphelin, homme humble et simple, Gamal Ghitany convoque à ses côtés dans les vertiges de l'illumination d'autres pères, d'autres guides, d'autres figures tutélaires. Le martyr Husayn, symbole de la souffrance, de l'humilité, de la lutte obstinée. Et un autre géant, le petit père des peuples arabes, Gamal Abdel-Nasser, «qui a commis de grandes erreurs, mais a toujours pris parti pour les pauvres et les faibles». Il en appelle aussi au cosmos, à l'infiniment grand, à l'infiniment petit, interrogeant jusqu'à la mémoire des herbes, des pierres, des terres jadis foulées par son père. C'est une borne imposante dans l'oeuvre de Gamal Ghitany, de loin son récit le plus personnel, et le plus abouti (…) Férocement ironique dans Zayni Barakat, satire du pouvoir (Seuil, 1985), portraitiste truculent avec La Mystéreuse Affaire de l'impasse Zaafarani (Actes Sud, 1996), Ghitany avait déjà laissé parler sa tristesse et ses illusions perdues dans Epître des destinées (Seuil, 1993). Le Livre des illuminations est plus que cela, un texte aux confins du religieux, une déclaration d'amour tardive à un père disparu, un livre de douleurs, d'espoir.


Claude GUIBAL, LIBERATION, 10 février 2005

La mélancolie Ghitany


C’est un édifice littéraire d'une ambition peu commune, un livre-somme, un grand oeuvre romanesque, spirituel et méditatif.
Près le 900 pages denses de récits les uns aux autres mêlés et imbriqués, pour tenter d'embrasser tout ensemble l'identité et la mémoire collectives d'un pays, et le destin l'un homme - sa biographie, sa généalogie, ses aspirations et ses doutes. «J'ai pris la ferme résolution de partir à la découverte de ce que nul être avant moi n'avait découvert, de vivre ce qui jamais ne serait venu à un esprit humain: voyager en illumination, voyager encore et encore», explique, au seuil du roman, son narrateur. Le voyage sera effectivement long, et surtout, il le conduira en des lieux et des temps inexplorés, l'amènera à vivre des situations inédites - conforme en cela aux paroles du sage qui répétait: «Le dormeur voit ce que l’éveillé ne voit point.»

Indéniablement, ce «voyage en illumination», auquel nous convie le grand écrivain égyptien Gamal Ghitany, tient du rêve, de la dérive onirique au cours de laquelle l'esprit défie les distances, le cours normal du temps. Plus encore, et très directement, ce voyage intérieur évoque une mystérieuse initiation, un chemin vers la connaissance,, un parcours mystique jalonné de multiples étapes, de paliers à franchir avant que d'ultimement accéder à une révélation qui, pour l'heure et jusqu'à l'issue du périple, ne porte pas de nom (...) Le Livre des illuminations s'offre à plusieurs lectures, plusieurs niveaux de décryptage, et ce portrait minutieux du père du narrateur, sans cesse retouché, détaillé, augmenté, poignant d'affection et de dignité - doublé d'une évocation de sa mère aussi, figure très présente en ces pages - en est l'un des axes narratifs majeurs (...) Il n'y a pas que virtuosité dans la forme narrative très poétique et remarquablement maîtrisée que trouve Gamal Ghitany pour multiplier et entremêler les enjeux romanesques -biographique, spirituel, historique, politique..., au fil des pages de ce Livre des illuminations. Virtuose, érudit, l'écrivain l'est, assurément; mais l'intérêt, l'attachement proche de l'envoûtement parfois que suscitent ses digressions inlassables tiennent à autre chose: une profondeur, une mélancolie, une implication réelle de soi, un dévoilement, et par là l'acceptation d'une vulnérabilité.


Nathalie CROM, LA CROIX, 24 février 2005

 

A l'ombre de la grande pyramide Mahfouz – Prix Nobel 1988 – Gamal Ghitany est un des auteurs qui comptent le plus dans la littérature égyptienne d'aujourd'hui. Né en 1945 au creux des sables, dans un village du sud du pays, il a grandi au Caire, une citadelle dont il réinvente toutes les légendes dans ses livres. Il en fréquenta les vieux quartiers, de bistrots en bouquinistes, avant d'être arrêté par la police de Nasser et condamné à deux ans de prison, en 1966, parce qu'il militait dans un groupuscule d'extrême gauche. C'est à cette époque-là que Ghitany commença à tâter du roman, tout en gagnant sa vie comme journaliste – métier à haut risque qui lui valut d'être censuré par le gouvernement de Sadate, quelques années plus tard.

Aujourd'hui, il incarne toutes les espérances de la littérature arabe, parce qu'il est toujours resté un écrivain de la liberté, enraciné dans le patrimoine collectif. «Comme dans Les Mille et Une Nuits, dit-il, j'essaie de bâtir des récits aux emboîtements infinis. Le fait d'avoir grandi au Caire, une cité riche en arabesques, m'a également beaucoup aidé.» Voilà pour les influences: l'auteur de Zayni Barakat et de L'Appel du couchant (traduits au Seuil) s'abreuve aux sources du conte oriental en mêlant les époques et les genres, l'Histoire et les mythes, dans le perpétuel jaillissement d'une œuvre qui est un gigantesque écheveau. On ne peut donc la percevoir que dans sa globalité: chaque titre s'y intègre et s'y enchâsse très subtilement, comme les motifs d'une coupole. Avec le pharaonique Livre des illuminations, Ghitany signe son roman le plus ambitieux. Il y tresse tous les fils de la tradition culturelle égyptienne, et il y ajoute de longues parenthèses autobiographiques. «En 1980, rappelle-t-il, j'ai appris la mort de mon père alors que je me trouvais à l'étranger. Ce fut le plus grand choc de ma vie.» C'est ce père qu'il ressuscite dans Le Livre des illuminations. Il le fait parler depuis l'au-delà, en implorant son pardon parce qu'il se sent coupable de ne pas avoir assez veillé sur lui: des pages poignantes, qui ressemblent à des retrouvailles d'outre-tombe (...) Commence alors une longue quête spirituelle à travers la mémoire: pêle-mêle, Ghitany évoque les grandes figures de l'Islam, les maîtres du soufisme, les exégètes de la parole coranique, les prophètes et les conteurs, les chroniqueurs et les philosophes qui, depuis Ibn Arabî, ont permis à la civilisation arabe de rayonner sur le monde (...) Mais, dans ce roman-fleuve qui a le débit du Nil, se bousculent aussi tous les acteurs de l'Histoire contemporaine (...) C'est dire la richesse du Livre des illuminations qui, sous le signe de Rimbaud et de Shéhérazade, est une véritable autopsie de l'âme égyptienne. Il faut du temps pour s'y acclimater, mais cette aventure est une jouvence: celle d'être initié à une culture dont on ignore souvent les secrets et les délices.


André CLAVEL, LE TEMPS (GENEVE), 12 février 2005

 

Le monument inouï d'un conteur-orchestre

 

Avec Le Livre des illuminations, l'Egyptien Gamal Ghitany mêle récits, fables, incantations, sourates et légendes dans un livre foisonnant, d'une écriture torrentielle.

Parce que son père est mort et qu'il n'a pu le voir une dernière fois ; parce qu'il ne croit pas à la mort, considérée comme un changement inéluctable dans la forme ; parce qu'il croit que l'écriture ramène les morts à la vie, et que la perte d'un être cher peut ouvrir les vannes d'un monde invisible à l'œil nu et déclencher un travail d'analyse sur soi, l'Egyptien Gamal Ghitany a écrit Le Livre des illuminations. Tout a commencé le jour de sa rencontre avec un homme mystérieux, guide spirituel, maître à penser, commandeur ou "héleur" qui lui a appris comment se ramasser dans une gouttelette d'eau, comment voir le bourgeonnement d'une simple anémone, le moment de séparation d'une feuille avec son arbre, l'instant où [le spermatozoïde féconde un ovule]. Récits, narrations lyriques, fables, incantations, sourates, légendes, analyses psychologiques et philosophiques se suivent, s'imbriquent dans le même moule.

Ghitany [qui fut] urbaniste dans son roman Pyramides ou sociologue et conteur dans La Mystérieuse Affaire de l'impasse Zaafarâni [se fait] mystique dans cet ouvrage dense de 850 pages d'une écriture torrentielle. Parti à la recherche du périple terrestre d'un géniteur négligé de son vivant, Ghitany le retrouve dans les "illuminations" auxquelles l'initie son "héleur". Son regard revient à sa naissance dans une maison modeste du Saïd égyptien jusqu'à sa disparition, son passage sur Terre décrit avec la minutie d'un arpenteur de cadastre. Progressant de jour en jour, l'initié arrive à voir plus loin ; ses "flashes" le ramènent à des époques révolues, à des penseurs, des prophètes, des poètes qui ont marqué l'imaginaire arabe.

Et puis, il y a ces retours incessants à l'image du père, toujours associée à celle de l'ancien président égyptien Gamal Abdel-Nasser, que l'auteur dit n'avoir jamais rencontré de son vivant. Le grand leader arabe avec le modeste paysan. Il voit Nasser dans une rue du Caire. Il est seul, sans garde ni photographe ; les passants le frôlent sans le voir. Que d'événements se sont succédé depuis sa disparition ! Interceptant le narrateur, il lui demande la cause de tous les changements, ce drapeau israélien à côté de l'égyptien (...)

Récit riche d'un vécu qui se transforme en écriture, devenant plus vrai que la vraie vie. Les angoisses du narrateur qui se sent dissocié de lui-même prennent fin à la mort de sa vieille mère. Sa fusion ou réconciliation avec lui-même a lieu face au lit où elle gît. La scène est d'une précision telle qu'on pourrait croire que Ghitany a vissé une caméra sur sa plume. Le lecteur occidental habitué aux deuils froids et lisses comprendra-t-il certaines manifestations aux antipodes des siennes ? Pleurs, invocations, supplications à la morte de revenir rendent-ils la mort plus supportable ? Mort acceptée avec cette soumission propre aux croyants et aux êtres simples. Mort commentée par cette simple phrase si consolatrice : "Elle a accompli sa mission." (...)

Le Livre des illuminations s'inscrit dans la continuité de l'œuvre passée de Ghitany : de Pyramides et surtout de La Mystérieuse Affaire de l'impasse Zaafarâni - de ses personnages hauts en couleur, où l'entente entre les habitants d'un quartier populaire se lézarde avant de voler en éclats sous la pression de la pauvreté et des changements sociaux. "Mes compatriotes et mon pays ne laissent pas de me surprendre, écrit-il en exergue d'un chapitre. Ils triomphent lorsqu'ils sont défaits et perdent la bataille lorsqu'ils sont victorieux." Pourra-t-il écrire d'autres livres après un tel monument?

Vénus KHOURY-GHATA, LE MONDE DES LIVRES, 24 février 2005

 

On découvre enfin en France, quinze ans après sa parution en Égypte, Le Livre des illuminations, de Gamal Ghitany. Unique dans la littérature arabe, il est un de ces rares livres à mériter réellement le titre de somme, tant il condense de richesses, nourri autant de mystique que de poésie ou d'émotion. Écrit en hommage au père, c'est un roman où tout est en partance, en mouvement permanent, qui peut être lu et relu, à partir de n'importe quel point. Malgré l'impressionnant arsenal de références philosophiques, - religieuses, historiques ou littéraires, Le Livre des illuminations est un vrai bonheur de lecture.

Le narrateur ("cet autre moi", dit Gamal), bénéficiant miraculeusement de l'attention des dieux, est doté de pouvoirs surnaturels qui lui permettent - accompagné de guides spirituels - de vivre diverses expériences directement liées à sa vie ou d'ordre visionnaire [Publié en "chapeau" d'un grand entretien avec Ghitany].

Pascal JOURDANA, L'HUMANITE, 24 février 2005

 

Tout à la fois roman, essai, fable et conte, l'ouvrage de

l'écrivain égyptien est nourri de poésie et d'émotion

 

Son père meurt en Égypte, alors qu'il est en voyage. D'où un sentiment de culpabilité duquel Gamal Ghitany tire des pages qu'il coiffe d'un titre mystique : Le Livre des illuminations. Et, du coup, l'écrivain égyptien a rédigé ce qu'il y a de plus lumineux dans la littérature arabe, en même temps qu'il reste accessible aux lecteurs occidentaux : la beauté parle à tout le monde.

Il faut comprendre le titre de l'ouvrage dans tous les sens du terme. Au sens théologique, d'abord : l'illumination est une lumière extraordinaire que Dieu répand dans l'âme d'un homme ; au sens courant, ensuite : c'est une inspiration subite, un trait de génie, nous indique le Robert. Ghitany répond aux deux définitions avec un égal bonheur, dans son ouvrage qui n'est ni un roman, ni un essai, ni une fable, ni un conte, mais tout cela à la fois. L'auteur nous donne à voir sa vie à travers une série d'illuminations et de pensées qu'il classe en trois livres («Les voyages», «Les stations», «Les états»).

L'ouvrage est donc né de cette culpabilité liée au fait que le père de l'écrivain est mort durant son absence. C'est, sans doute, pour cela que la confession commence avec cette «illumination écrasante» : «Si je connaissais à la séparation une patrie, j'aspirerais à m'y rendre et, arrivé là-bas, je m'en séparerais...» (...)

[Ghitany] s'autorise d'autres écarts, dès lors que les frontières du temps sont complètement bannies ; et oubliée la censure. On aura pour preuve cette scène qui serait osée si elle n'était pas, au fond, empreinte d'innocence, où il décrit son père et sa mère en train de faire l'amour, cet amour dont il va naître. Gamal Ghitany se comporte tel un muezzin ayant pour seule religion la littérature et la poésie. D'ailleurs, n'a-t-il pas mis en exergue ce qu'il y a de plus beau dans le Coran : son aspect [cosmogonique] et sa verve littéraire ? (...)

Ici, l'on retrouve aussi bien l'esprit des Confessions de Rousseau – introspection, sincérité, envolées lyriques – que la féerie des Mille et Une Nuits, une écriture moderne se combinant à une inspiration à l'ancienne. On s'autorise juste un extrait : «Vos espérances, pour peu qu'elles se réalisent, vous laisseront comblé, / A défaut, vous aurez vécu en leur compagnie un temps de félicité.» Le Livre des illuminations est une transe parfaitement maîtrisée(...)

Enfin, il convient de rendre hommage à l'immense travail de traduction et aux commentaires éclairants dus à Khaled Osman, qui parle avec raison, dans sa préface, d'autobiographie poignante et de conte polyphonique. Coïncidence : en arabe, destin et livre sont désignés par le même mot. Cela se comprend en pareil cas. Merveilleusement...

Mohammed AÏSSAOUI, LE FIGARO LITTERAIRE, 10 mars 2005

 

Tout sur le Caire

 

C’est le Coran profane d’un fils de fellah, dont la vie fut placée sous le signe de la mort (...): «J’ai vu l’explosion des bâtiments, des véhicules, j’ai vu la douleur au moment où elle naît sur le visage des blessés, j’ai ressenti la panique au passage d’avions de chasse et de bombardiers volant à si faible altitude que je pouvais distinguer la couleur des casques de leurs pilotes.»

Ghitany, c’est une enfance et des guerres, un village qu’il revoit, avec ses habitations pauvres accrochées à la colline comme pour se prémunir des crues de l’imprévisible Nil, des palmeraies luxuriantes, des sentiers poussiéreux (...). Hommage au père pauvre, mort en 1980, qui permit à son fils d’aller à Hugo quand les autres se rendaient à la mosquée, et sur le front duquel Ghitany pose aujourd’hui ce livre comme un dernier baiser (...) Dans Le Livre des illuminations, le narrateur-Ghitany raconte comment il reçoit, au lendemain de la mort de son père, une mystérieuse convocation devant un tribunal divin, le «Divan», sorte de «poste de contrôle avancé à partir duquel est supervisé notre monde terrestre». Il se voit alors autorisé à voyager à travers les siècles au moyen d’illuminations successives. Les époques se mêlent, toutes les vies du Nil dont les eaux semblent l’horloge que les dieux offrirent aux hommes pour dire l’éternel passage du temps. «Le monde, écrit Ghitany, est en éternelle partance du monde.» Traité de sagesse présocratique, livre de sagesse et de soufisme, récit initiatique, violent pamphlet anti-Sadate, faire-part de deuil et guide de voyage, livre d’amour au temps du peu d’amour, Le Livre des illuminations est un roman-monde qui revient sur les traces du récit fondateur, Le Livre des morts (...) Homme de savoir, Ghitany est aussi un activiste engagé dans les combats d’aujourd’hui. «Avant 1967, on m’a jeté en prison. Parce que j’avais soutenu le point de vue des pauvres. Nasser se réclamait d’un socialisme qui n’était pas le mien. Moi, c’était celui de Mao. Sartre m’a sorti de prison. Il ne me connaissait pas, mais il était invité au Caire, et on lui a parlé de moi. Il a demandé ma libération.» Journaliste le matin, écrivain l’après-midi, Gamal Ghitany est aujourd’hui un notable de la culture qui n’a rien renié de ses origines. Il travaille quatre heures par jour, au milieu de ses livres (...) En bas, la ville bruyante. Le Caire, en éternelle partance du Caire.

Didier JACOB, LE NOUVEL OBSERVATEUR, 24 mars 2005

 

Le livre de la Révélation

 

(...) Avec Le Livre des Illuminations, écrit entre 1980 et 1986, l’auteur laisse place à un écrivain d’envergure qui, emporté dans une longue introspection, conduira le lecteur sur les chemins tortueux de l’enfance, de l’adolescence et de l’âge d’homme du narrateur(...)
Fortement adossé à l’histoire contemporaine égyptienne, ce roman puise également ses sources dans la tradition arabo-musulmane dont l’auteur est fin connaisseur. Ghitany apparaît ici comme un homme plus religieux qu’on ne l’imaginait, respectueux des textes, familiers des sourates et faisant preuve de sa parfaite connaissance du Coran. (...) Il en résulte un ouvrage original et marquant, plus proche de l’autobiographie que du roman(...)
Ce livre a été terminé voici près de vingt ans. Sa construction originale, la qualité de son écriture et les innombrables subterfuges tiennent le lecteur en haleine jusqu’aux dernières pages. Gamal Ghitany, ancien dessinateur de tapis dans le souk du Khan el-Khalili, vient de peindre la plus belle des fresques. S’il fallait oser une comparaison, on évoquerait le Simorgh, ultime ouvrage de Mohammed Dib pour sa construction vagabonde. Mais Le Livre des [illuminations] ne confirme pas seulement les talents de conteur de son auteur, il le hisse parmi les plus grands écrivains de langue arabe, aux côtés de Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature 1988.

Geneviève FIDANI, CHRONIQUES LIVRES RFI, 24 mars 2005

 

Il y a un personnage nommé Zidane dans le nouveau roman de Gamal Ghitany Le Livre des Illuminations mais (...)il s’agit d’un saint homme portant une gallâbieh, dans sa main une ombrelle et un chapelet de bois de santal parfumé. Cheikh Zidane fait partie de la foisonnante galerie de portraits que nous offre Ghitany dans ce livre impossible à refermer tant les flots de visions, d’illuminations, de rêves fulgurants nous tiennent en haleine.

Gamal Ghitany mêle son autobiographie dans ce roman à une entreprise littéraire magistrale. Et pourtant, au départ, on hésite. Encore un roman sur la mort du père et sur le retour d’exil ? Thèmes déjà archiprésents dans la littérature et aussi dans le cinéma ! Mais, comme dit Borgès, l’art n’est qu’un éternel recommencement. Tout a déjà été dit sur tous les sujets. La vie n’exclut pas qu’on puisse réinventer encore sur les mêmes sujets. Et c’est ce que fait Ghitany fort brillamment(...) [Comme] une insistante douleur, plus forte que le chagrin, s’empare de lui [à la mort de son père], il se met à écrire. Par fragments : rêves, poèmes, citations coraniques, fables, illuminations, il entreprend une longue histoire, celle de l’Egypte, celle de son père dont il dessine un portrait majestueux. S’agissant de l’Egypte d’hier et d’aujourd’hui, on est profondément touché quand soudain au détour d’un chapitre la figure légendaire de Gamal Abdel Nasser (...) [réapparaît] comme le héros de la Révolution de 1952 qui a été marquée par de grandes espérances sociales. Sous Nasser, il y a eu certes un manque flagrant de liberté d’expression, [mais] le narrateur évoque aussi le courage solitaire du Raïs face à la coalition occidentale et Israël, [donnant lieu à l']un des plus beaux passages du livre(...)

Azzedine MABROUKI, EL WATAN, 17 mai 2005

 

Livre d’un douloureux exil vécu par rapport à soi-même et aux autres, livre de la nostalgie suscitée par un présent toujours en fuite et un passé voué à la disparition, la somme proposée – par le disciple de Mahfouz, correspondant de guerre et prisonnier des geôles nassériennes – est surtout livre de la mémoire et de l’évocation. Bouleversé de n’avoir pu assister aux derniers instants de son père, Gamal Ghitany se voit accorder la possibilité de ressaisir un passé révolu et de mener la quête de ses origines indépendamment de toute barrière spatiale ou temporelle.

D’illumination en illumination et d’épreuve en épreuve, le « travail de deuil » se vit comme la traversée initiatique d’un monde de correspondances en perpétuel mouvement, où communiquent tous les lieux, toutes les époques, tous les visages, toutes les voix et tous les points de vue. Contre toute attente, cette infinie dispersion du propos participe d’un puissant travail de synthèse ; à la figure du père défunt se superpose celle de « tous les justes partis avant l’heure » ; à l’histoire de l’Egypte et de l’Islam se rapportent la noblesse et l’humilité d’un seul destin ; la dispersion de tous les instants est réduite à la simultanéité d’un seul ; enfin, l’auteur est réconcilié avec lui-même : « Gamal était moi, et moi j’étais lui, il n’était plus d’un côté et moi de l’autre. » Aussi l’état de déréliction lié au spectacle d’un « monde […] en éternelle partance du monde » se trouve-t-il dépassé par une sagesse paradoxale, informée par la conception orientale du temps et par les fondements du soufisme. Comme l’écrit Ghitany au seuil et au terme de son parcours : « La fin découle du commencement, mais elle lui est aussi consubstantielle, car sans fin il n’y aurait point de commencement. […] C’est ainsi que le point rejoint le point, que le cercle se referme, que l’existence calque sa configuration sur la forme sphérique du monde – alors sachez en tirer la leçon. »

Laurent SUSINI, CAIRN, 402/6, juin 2005

 

Le pavillon francophone de la Foire du livre du Caire a choisi d’inaugurer sa série de colloques par le lancement de la toute nouvelle traduction de l’écrivain égyptien Gamal Ghitany, Kitâb Al-Tajalliyât (Le Livre des illuminations). Cette parution, prévue pour février 2005 aux éditions du Seuil et traduite en français par Khaled Osman, a fait l'objet d'un débat en présence de l’auteur du roman, Gamal Ghitany, et de Vincent Bardet, directeur de la collection Points Sagesse aux éditions du Seuil.

Dans sa présentation du Livre des Illuminations, le traducteur Khaled Osman confie : « Ce livre a été reconnu comme une tentative réussie de créer une forme romanesque spécifiquement arabe. Nul doute qu’il mérite, de par la force de son sujet et son innovation formelle, de prendre place parmi les grandes œuvres de la littérature universelle ». C’est justement ce qui fait la magie de l’écriture de Ghitany qui inscrit la littérature arabe contemporaine dans la réalité quotidienne en faisant appel aux formes littéraires classiques. C’est une œuvre providentielle, une sorte d’illumination qui s’est révélée à l’écrivain à la suite du décès de son père. « J’ai été bouleversé non seulement par la mort soudaine de mon père, mais aussi par la fin d’une époque en Egypte. Elle se basait sur la valeur et l’importance du savoir de l’être humain. L’époque de l’ouverture économique (qui a commencé vers 1975 sous Sadate) a ensuite changé tout cela, valorisant l’être humain [à la mesure de l'argent qu'il possède et non plus de ses connaissances acquises]. C’est pour ces raisons que j’ai écrit ce roman », déclare Ghitany. Il poursuit en avouant : « Mon expérience dans le soufisme m’a sauvé du suicide durant cette période ». Dans l’œuvre, l’auteur-narrateur reçoit l’autorisation de voyager, de balayer les lieux et les époques, il transmet ainsi des révélations qui relèvent du monde mystique. Les personnages très anciens en croisent d’autres plus contemporains. L'imâm al-Husayn, le petit-fils du prophète Muhammad, et le leader égyptien Gamal Abdel-Nasser sont donc bien évidemment présents. L’écrivain réinvente l’Histoire et crée des parcours qui s’entrecoupent entre sa vie et celle de son père, souvent avec beaucoup de mysticisme...

Rania HASSANEIN, Al-AHRAM HEBDO, 2 février 2005