Au cours des
quelques semaines qui viennent de s’écouler, il s’est produit coup sur
coup deux événements qui ont suscité dans l’opinion publique une large
controverse.
Le premier
incident s’est produit le 20 septembre dernier, lorsque les lecteurs
d’Al-Ahrâm – le plus ancien quotidien égyptien – ont eu la surprise
de découvrir dans leur édition matinale, sous la plume de l’ambassadeur
des États-Unis au Caire, Mr David Welsh, une lettre ouverte aux intellectuels,
écrivains et directeurs de rédaction égyptiens. Dans ce texte intitulé
: « Les points sur les i » et rédigé – fait rare – en arabe, l’ambassadeur
accusait tous ceux qui écrivent des articles non conformes à la vision
des États-Unis d’attenter aux valeurs de vérité et d’authenticité, de
s’appuyer sur des sources douteuses et erronées, avant d’exiger des
responsables de rédaction des journaux égyptiens qu’ils relisent méticuleusement
les articles qui leur étaient soumis afin de ne pas trahir la vérité
– tout du moins la vérité telle que la conçoit l’ambassadeur américain.
À vrai dire, cette lettre a provoqué en moi un malaise, et cela pour
deux raisons.
La première
raison, c’est que ce texte m’est apparu comme comportant un appel –
ou plus exactement une injonction – en vue d’instaurer une censure supplémentaire
dans notre pays qui en connaît déjà différentes formes, certaines visibles,
d’autres plus cachées. Qui plus est, cette demande de censure émanait
de l’ambassadeur de la seule grande puissance mondiale actuelle, qui
considère les événements du 11 septembre comme imputables au bloc non-occidental
en général, et aux musulmans en particulier. Conséquence de cette imputation,
les États-Unis ont fait peser sur les régimes arabes de notre région
diverses menaces : mobilisation des forces armées, déploiement de missiles
fixes, embarqués ou aéroportés, raids effectués par des avions de destruction
(depuis les drones jusqu’aux bombardiers stratégiques géants de type
B-52), sans parler des pressions plus souterraines : demandes de modification
des programmes scolaires ou suppression de certains textes des livres
prescrits par les ministères de l’Éducation de certains pays arabes.
Si j’en crois les informations que j’ai pu recueillir, il est avéré
que certains pays ont cédé aux demandes américaines.
Nous voilà
donc confrontés à une forme planétaire de censure, puisqu’elle émane
de la plus grande puissance du globe. Ce qui me dérange, ce n’est pas
seulement le poids que cette force exerce sur nos régimes, mais surtout
le fait que cette censure s’exprime sous des formes multiples qui, toutes,
sont contraires aux valeurs et aux principes édictés par la Constitution
américaine elle-même. Cette contradiction entre la politique étrangère
des États-Unis et les principes constitutionnels américains est sans
nul doute un désaveu apporté aux valeurs de liberté et d’humanisme.
Les événements qui se sont produits dernièrement dans l’actualité, et
que nous avons pu quelquefois suivre sur nos écrans de télévision, confirment
ce déni de justice. Nul doute par exemple que le traitement infligé
à leurs prisonniers sur la base de Guantanamo constitue une violation
patente des droits de l’homme par les Américains, diamétralement opposée
aux principes mêmes de la justice américaine. Il en va de même de l’opération
menée au Yémen, où l’on a pu voir des hommes pris pour cibles et éliminés
au moyen d’un missile tiré par un drone américain. Au reste, peu importe
qu’il s’agisse d’un avion conduit par un pilote ou dirigé à distance
depuis la terre ferme : cette pratique inédite de liquidation d’individus
sans procès préalable, à l’instigation d’une grande puissance en position
de domination, marque le début d’une nouvelle politique, qui ne fait
aucun cas des principes de la légalité et de la morale. Nous en faisons
également les frais dans notre région, lorsque des hélicoptères Apaches
et des avions F-16 prennent pour cible l’une des pièces d’un appartement
ou un logement situé dans un quartier à population dense, afin d’éliminer,
sans procès ni jugement, des Palestiniens qui ne font que résister à
l’occupation de leurs terres par Israël. Cela revient à mettre en œuvre
un terrorisme d’état pour répondre au terrorisme des groupes armés ;
ainsi le principe du terrorisme comme mode d’action se trouve-t-il entériné,
tandis que la loi du plus fort permet de brandir le slogan de la lutte
contre le terrorisme afin de frapper tel ou tel État – sans qu’on puisse
dire qui, parmi ces États, est coupable et qui est innocent. Bref, c’est
la porte ouverte à un terrifiant chaos.
La seconde
raison de mon malaise face à la lettre de l’ambassadeur américain, c’est
que je suis moi-même directeur de la rédaction d’un hebdomadaire littéraire
– je veux parler de la revue Akhbâr al-Adab (les «Nouvelles littéraires»)
– qui se préoccupe précisément d’exprimer le point de vue des intellectuels,
catégorie dont sont pour l’essentiel issus les membres de la rédaction
et les auteurs publiés. Par conséquent et bien que je ne le connaisse
pas personnellement, j’ai eu le sentiment que l’ambassadeur américain
s’adressait directement à moi. Mais avant de réagir en tant que directeur
de rédaction, je me suis pris à envisager l’affaire en tant que romancier…
J’ai imaginé l’ambassadeur d’Égypte à Washington publiant une lettre
ouverte similaire, dans le New York Times ou dans le Washington Post,
et j’ai essayé de me représenter les réactions qui n’auraient pas manqué
de se déchaîner… Bien entendu, les organisations de défense des libertés
auraient immédiatement publié des communiqués de protestation, de même
que les syndicats de journalistes et les représentants de la société
civile. Mais les choses n’en seraient sûrement pas restées là, sans
doute l’affaire aurait-elle été débattue au Capitole, à la Commission
des finances du Sénat et, non loin de là, au Pentagone, on se serait
penché sur les meilleurs moyens de répondre aux menaces égyptiennes
et à cette tentative de museler la presse américaine libre d’imposer
une nouvelle forme de censure. Peut-être même serait-on allé jusqu’à
alerter le Commandement central de l’armée américaine, on aurait alors
vu apparaître le général Tommy Franks, qui effectue de fréquents déplacements
au Proche-Orient, et que la rumeur donne pour l’un de ceux qui auront
une influence déterminante dans le devenir de la région. Bien entendu,
l’affaire aurait également été discutée à la Maison Blanche, madame
Condolezza Rice nous aurait gratifiés de quelques communiqués acerbes
dénonçant la politique égyptienne et ses velléités d’interférer dans
la liberté de la presse américaine, et menaçant de couper l’aide financière
accordée à l’Égypte.
Au Caire,
les réactions au texte de l’ambassadeur se sont limitées au Syndicat
des journalistes égyptiens, qui s’est publiquement indigné, et à un
communiqué portant la signature des plus éminents intellectuels égyptiens,
qui ont dénoncé cette nouvelle limitation à la liberté d’expression,
d’autant plus choquante que notre histoire porte encore la marque des
multiples batailles qui ont été livrées contre la censure sous toutes
ses formes. De mon côté, j’ai écrit un article, sur un ton suffisamment
courtois pour ne pas provoquer l’ire des dirigeants du Pentagone dont
les nerfs sont à fleur de peau depuis les événements du 11 septembre.
Là, j’ai tenté d’expliquer à l’ambassadeur des États-Unis le danger
qu’il y avait à expurger et à interdire. J’ai aussi rappelé l’attitude
que nous avions adoptée après le 11 septembre. C’est que nous avons
compris le danger extrême recelé à long terme par les événements qui
venaient de se produire, je veux parler de l’élargissement de la fracture
entre l’Orient et l’Occident, ou encore entre les puissances occidentales
et ceux qui se réclament de l’islam. Ayant compris cela, il était vital
pour nous de nous tenir au fait de ce qui se passait dans l’autre camp
: qu’est-ce qu’on y écrivait ? qu’est-ce qu’on y disait ? C’est pourquoi
nous nous sommes employés à faire traduire une masse de documents exprimant
des points de vue variés, aussi bien des analyses objectives de la situation
que des pamphlets vulgaires s’en prenant à l’islam comme religion et
à ses valeurs sacrées. Le but que nous poursuivions, et qui est toujours
le nôtre, était de chercher à savoir comment l’autre camp réfléchit,
car la connaissance est la première étape si l’on veut comprendre l’autre,
dissiper un malentendu, franchir une frontière, diagnostiquer un mal.
Sans connaissance, les gens de raison sont contraints d’avancer à l’aveugle,
sans savoir où ils posent le pied. Ce qui est paradoxal, c’est de voir
se multiplier les tentatives pour imposer une censure ou faire supprimer
certains textes, à une époque où les frontières sont précisément en
train de se dissoudre, voire de disparaître complètement sous l’effet
des moyens de communication modernes. Plus grave, c’est précisément
la nation qui a joué un rôle primordial dans la conception de ces moyens
modernes qui mène aujourd’hui cette politique (visible ou cachée) de
censure à l’échelle du globe. Bien sûr, il est facile de comprendre
les raisons sous-jacentes à cette attitude, notamment l’état d’urgence
décrété après le 11 septembre ; toutefois, d’autres facteurs étaient
déjà présents dès avant ces événements, à savoir la volonté hégémonique
d’imposer à l’ensemble de la planète une pensée unique, une culture
unique.
Cela étant
dit, il me semble nécessaire de clarifier un certain nombre de points...
Je récuse
les étiquettes univoques, comme celles qui parlent d’un Occident absolu
ou d’un Orient absolu. Il n’y a pas un Occident unique, pas plus qu’il
n’y a un Orient unique ; au contraire, l’observation nous apprend que
le coucher du soleil à l’horizon est un processus continu au cours de
l’année, qui ne peut être l’apanage d’une région à l’exclusion des autres.
Il en va de même du jaillissement de l’aube, comme l’avaient déjà remarqué
nos ancêtres, les anciens Égyptiens, il y a de cela des millénaires.
Il existe en Occident des voix sensées, qui savent que la richesse de
l’humanité est dans l’interpénétration de ses cultures et la complémentarité
de ses éléments, et non dans le projet de bâtir une culture unique en
écrasant les autres. Dans notre région du monde, il existe des voix
similaires, non seulement à l’époque actuelle, mais aussi depuis les
temps les plus anciens. Ainsi, notre grand maître Jalaluddîn Rûmi –
poète, musulman et soufi – qui naquit en Afghanistan, écrivit sa poésie
en persan et mourut à Konya en Turquie, écrivait-il dans dans son chef-d’œuvre
Le Masnavi :
J’ai
souffert comme Oriental, |
Aussi
suis-je devenu Occidental |
Quant au grand
cheikh Muhieddîn Ibn ‘Arabî, qui vécut en Andalousie et voyagea dans
le vieux monde avant de mourir finalement à Damas, il a écrit :
Mon
cœur est devenu capable de toute image, |
Prairie
pour les gazelles, |
Couvent
pour les moines, |
Temple
pour les idoles, |
Kaaba
pour les pèlerins, |
Tables
de la Torah, |
Et
livre du Coran.
|
Personnellement,
j’ai foi dans ce message humaniste, dans la richesse que les hommes
tirent de leur diversité et des interactions qui en résultent plutôt
que dans l’affrontement. Je n’oublie pas que les fondements spirituels
de l’Occident sont venus d’Orient, et que pour notre part nous avons
emprunté à l’Occident les éléments de progrès que nous connaissons à
l’époque moderne. À la fin du xixe siècle, un cheikh éminent de l’université
d’al-Azhar, novateur audacieux, se rendit en France – il s’agissait
de l’imâm Muhammad Abduh. À son retour, il déclara qu’il avait découvert
là-bas un islam sans musulmans, tandis que nous avions en Orient des
musulmans sans islam.
De part et
d’autre, l’extrémisme est présent, chaque religion produit ses fanatiques,
et beaucoup des extrémistes dont le monde souffre aujourd’hui ont vu
le jour dans des sociétés closes, qui ont basculé sous l’emprise d’écoles
de pensée isolées dont la zone d’influence ne dépassait pas à l’origine
un périmètre délimité du globe. Or, ces écoles ont soudain hérité d’une
richesse démesurée, inattendue, conférant à certaines d’entre elles
une puissance qu’elles n’auraient jamais imaginée. Conscients de leur
force, ils ont alors tenté d’imposer leur doctrine isolée aux autres
– je fais ici clairement référence aux tenants de la doctrine wahhabite,
en Arabie Saoudite, dont j’affirme qu’ils sont plus dangereux pour l’islam
et les musulmans que toute autre force, parce qu’ils rejettent tous
ceux qui ne pensent pas comme eux même lorsqu’ils sont musulmans. Ce
que l’islam a subi au cours des dernières années sous l’influence des
plus extrémistes d’entre eux est terrible et effrayant, comme l’est
la volonté de la censure planétaire de s’étendre aux programmes scolaires
locaux et de supprimer des textes entiers pour se conformer à des injonction
émanant de Washington ou des centres d’études stratégiques. L’Histoire
nous apprend que toute censure est génératrice d’oppression, et que
l’oppression engendre l’humiliation, qui à son tour produit la haine
et la frustration. Cette censure moderne, mise en œuvre sous forme d’instructions
clandestines ou officielles relayées par des régimes affaiblis, apeurés,
dont les représentants craignent pour leur pouvoir et leur fortune,
ne conduira qu’à plus d’humiliation et plus d’extrémisme. Or, force
est de constater que les États-Unis ont été et demeurent, du fait de
la collusion de leurs intérêts, le soutien principal de ces régimes.
De mon point
de vue, la résistance à l’extrémisme ne peut incomber qu’aux membres
des sociétés et des civilisations dans lesquelles cet extrémisme voit
le jour, que ce soit en Orient ou en Occident, et non à une censure
qui émanerait de l’étranger. Les expressions absolues comme «l’axe du
mal» ou «la guerre contre le terrorisme» ne feront que creuser davantage
les malentendus. Certains régimes exploitent ces slogans pour réaliser
des objectifs qui vont bien au-delà de ce qui est contenu dans les messages
eux-mêmes. Le danger réside dans le fait qu’en recourant à des slogans
aussi absolus, on met le doigt dans des conflits impossibles à maîtriser,
particulièrement si l’idéologie ainsi véhiculée est appliquée à certaines
parties et non à d’autres, car tôt ou tard, la vérité finit par apparaître
à ceux qui ne font pas l’objet d’un traitement particulier.
J’en viens
à présent au second incident : peu après la lettre ouverte de l’ambassadeur
des États-Unis publiée dans Al-Ahrâm, la presse a commencé à évoquer
la diffusion prochaine d’un feuilleton télévisé intitulé « Chevalier
sans monture », produit par une chaîne satellitaire privée. Certains
journaux ont indiqué à ce propos que le scénariste s’était appuyé sur
les fameux « Protocoles des Sages de Sion ». Avant d’entrer dans le
détail de la controverse qui a suivi, je voudrais insister sur le fait
que cet ouvrage jouit d’une très mauvaise réputation auprès des intellectuels
égyptiens, et qu’aucun chercheur digne de ce nom ne lui accorde la moindre
importance, à telle enseigne qu’un éminent historien spécialisé dans
l’histoire du mouvement sioniste, le Dr Abdelwahhâb al-Messîri, a qualifié
cet ouvrage de faux grossier, insistant sur ses origines plus que douteuses
enracinées dans la Russie des tsars. Nous-mêmes, à Akhbâr al-Adab, nous
avons plus d’une fois attiré l’attention sur l’inauthenticité de ce
document, sur sa mauvaise réputation et sur la façon dont on en usait
pour discréditer les tenants de la foi judaïque. À ce point, je voudrais
m’arrêter pour clarifier une position que j’ai toujours adoptée et réaffirmer
un principe que j’ai toujours défendu : je suis opposé à toute forme
d’invective fondée sur des considérations de religion ou de race ; il
y a là une abjection et une barbarie dont il est temps pour l’humanité
de se débarrasser à jamais – telle est ma position claire et constante.
Dans le cas qui nous occupe, l’opinion publique égyptienne a été soudain
prise dans les filets d’une campagne médiatique et politique sans précédent
visant ce feuilleton: des critiques se sont élevées de toutes parts,
des centaines de manifestants se sont massés devant l’ambassade d’Égypte
à Washington, certains d’entre eux munis de banderoles proclamant «Arrêtez
le massacre». Or, le feuilleton n’ayant pas encore été diffusé à la
télévision, il ne pouvait être connu de ceux qui le dénonçaient si violemment
! Ce fait n’a pas manqué d’en étonner beaucoup : comment une campagne
aussi vigoureuse, aussi virulente, pouvait-elle réclamer l’interdiction
d’une œuvre artistique avant même sa diffusion ? C’est alors que l’affaire
a pris une tournure nouvelle : les Égyptiens se sont vus accusés en
bloc d’antisémitisme – ce qui semblait d’autant plus saugrenu que nous
sommes nous-même des sémites. D’ailleurs, je voudrais faire deux remarques
: tout d’abord, l’accusation d’antisémitisme est souvent un message
délivré à d’autres que ceux qu’elle prend nommément pour cibles ; d’autre
part, cette accusation tend à s’élargir pour englober désormais toute
critique adressée à la politique de droite israélienne. C’est ainsi
que la nouvelle censure planétaire conçue et diffusée par les États-Unis
se trouve consacrée et mise en œuvre.
Le plus ironique,
c’est que lorsque nous avons enfin pu suivre le feuilleton incriminé
– la diffusion a commencé au début du mois de Ramadan – nous n’avons
pas décelé le moindre rapport avec l’ouvrage de triste réputation. Loin
d’en être, comme on nous l’avait martelé à longueur d’articles, l’adaptation
en images, le feuilleton est en fait centré sur le personnage d’un aventurier
égyptien ayant vécu à la fin du xixe siècle et au début du xxe. Alors
qu’on a pu le voir sur certaines chaînes égyptiennes, il n’a pas été
diffusé dans la plupart des pays arabes, qui ont subi des pressions
directes, tantôt affichées, tantôt occultes, pour qu’il ne soit pas
projeté. De fait, dans sept pays arabes, la diffusion a été interrompue
après avoir commencé, sous l’effet des pressions émanant généralement
des États-Unis, au moment précis où ceux-ci mettaient en avant leur
objectif déclaré d’installer les valeurs de la démocratie occidentale
dans les pays arabes, gouvernés par des régimes réactionnaires et dictatoriaux.
Pour ma part,
j’estime que l’interdiction des œuvres et le refoulement des réalités
ne conduiront qu’à un surcroît de dictature et de répression. Aucune
tentative d’imposer de l’extérieur des idées ou des modes de pensée
ne parviendra à modifier la situation déplorable d’aujourd’hui : la
censure et la répression demeurent la règle dans les pays arabes, mais
existent aussi bien dans d’autres régions du monde, y compris aux États-Unis.
La politique américaine actuelle particulièrement à l’égard du Moyen-Orient
et du monde arabe, loin de conduire à plus de démocratie, aboutira à
entériner une forme de censure planétaire. Il nous appartient à nous,
intellectuels et créateurs, de dénoncer et de contrer cette nouvelle
restriction de la liberté d’expression, de la même façon que nous avons
résisté et continuons de résister à la censure locale, qu’elle soit
visible ou cachée.
Je lance donc
un appel à l’établissement de passerelles permettant une compréhension
et une connaissance mutuelles, plutôt que l’aggravation des failles
qui nous séparent, l’accentuation de la censure et l’élimination ou
la radiation des idées. J’appelle à prendre garde à la généralisation
du concept de « guerre contre le terrorisme » qui ne cesse de s’élargir,
englobant désormais non pas ceux qui pratiquent le terrorisme, mais
ceux qui professent des convictions religieuses ou des idées, ainsi
que ceux qui luttent pour la libération de leur territoire et ceux qui
résistent à une agression armée injuste. Pis encore, ce concept paraît
maintenant s’étendre à la langue et à la culture, et ce n’est guère
une folie de l’imagination que de penser qu’il englobera un jour les
mots, les gestes, les allusions, les moindres signes. Ce jour-là, la
planète entière deviendra un lieu inhospitalier pour tous ceux qui ne
seront pas en harmonie ou en accord avec les vues des responsables de
l’administration américaine qui, à travers ce qu’ils appellent leur
«guerre contre le terrorisme», font régner la terreur dans tous les
compartiments de notre vie.
Traduit
de l'arabe par Khaled Osman