La demeure du vent
 roman de Samar Yazbek

traduit de l'arabe (Syrie) par
Khaled Osman et Ola Mehanna


"Il chute dans l'inconnu d'un gouffre profond où la gravité n'a plus cours, tout juste perçoit-il le balancement de sa tête dans le vide. Seraient-ils en train de le descendre au fond d'une tombe?
S'agit-il de son enterrement ? Et cette tête, est-ce bien la sienne?"

En Syrie, un homme meurt au combat. Son unité et lui ont été fauchés par une bombe lâchée d'un avion. Seul rescapé, entre la vie et la mort, son esprit divague et l'emporte loin de la réalité, du charnier, du chaos...
Il revoit son village, revit son enfance et sa vie défile, pleine de beauté, de nature, de simplicité et de poésie!

"Les nuages ici ne ressemblent pas à ceux de son village. Ceux-là, il les connaissait bien et avait pris l'habitude de les voir s'élever du fond de la vallée vers les hauteurs, en suivant un parcours sinueux. Il les voyait arriver comme un épais fleuve blanc, recouvrant le monde alentour avant de l'envelopper et de lui masquer les yeux tel un bandeau. Tous les villageois vivaient ainsi au milieu de la brume, c'était leur environnement familier dans lequel ils avaient pris l'habitude de se fondre, mais Ali avait tout de même droit à sa propre cohorte de nuages, la seule à se transformer en une longue traîne qui remuait et dansait sous les regards, semblable à la queue d'un renard de forêt. Il se postait tout en haut de sa cabane pour la suivre des yeux jusqu'à sa disparition, après quoi il pouvait de nouveau distinguer la vallée et les cimes environnantes."

Raconter la guerre avec poésie... il fallait le talent de Samar Yazbek pour y parvenir! Sa langue est belle, lumineuse, envoûtante et profonde! Son verbe se fait ode et tragédie à la fois, envolée et réalité mêlées, chaos et mélopée…

"Quant aux montagnes, qui ont vécu des millénaires, qui ont connu les guerres et les flots de sang abondants, elles se sont assagies et laissées couler jusqu'au littoral, calmes et fortes de l'assurance que tout cela n'est qu'un incident passager, que ce n'est pas cette bombe de rien du tout - larguée par erreur depuis un avion survolant leur petit groupe en patrouille sur les crêtes - qui va les effrayer."

Oh oui! La virtuosité de cette autrice syrienne est unique et indéniable!
Elle m'avait touchée et bouleversée avec ses 19 femmes, et cette fois elle a fait vibrer une corde étrange en moi, celle de la langue mêlée à la souffrance, mélangée au sang, entrelacée à la vie! La poésie à l'origine, berceau du monde et de l'existence, chant de beauté et de souffrance, de lumière et d'absence. Mot de la fin quand la lumière s'éteint. Hymne de vie et de mort.
Il est des mots qui font bien plus que transporter: ils font respirer, jusqu'à la fin, au dernier souffle!

"Le vent occupe une place privilégiée dans son coeur, car il a appris à le connaître davantage encore que les nuages, la pluie et la neige. Il boit le vent, l'engloutit comme une denrée comestible lorsqu'il passe le long de ses joues avant de se loger dans sa bouche ouverte. Il le déguste littéralement, le mastique puis finit par l'avaler pour le conserver en lui, à l'intérieur de son ventre."

Merci à Samar Yazbek pour ce voyage de mots et de maux, pour cette réalité pleine de beauté et d'authenticité.

Read_to_be_wild
, lecture sur le site Babelio, janvier 2023