Le beau Juif

Roman de 'Ali al-Muqri traduit de l'arabe (Yémen) par Ola Mehanna et Khaled Osman


Les amants de la mer Rouge

Récit d’une passion interdite dans le Yémen du XVIe siècle, Le beau Juif de 'Ali al-Muqri, trouve de nombreux échos dans notre époque troublée.
Il nous parle d’un mnonde caché où juifs et musulmans se désirent et s’aiment. 'Ali al-Muqri écrit cela du Yémen, sans avoir peur, et avec une encre aussi parfumée que la passion entre Fatima, la fille du mufti, et Salem, "le beau Juif", comme le surnomme la jeune fille, qui répare le moucharabieh de la maison paternelle.

Le roman comme son auteur nous confrontent à deux mystères. La première énigme est celle de ce monde yéménite secret du XVIIe siècle où un amour s’est mis à scintiller dans les interstices du grand interdit jeté sur les relations amoureuses entre juifs réprouvés et musulmans à la foi dominante. La seconde énigme est celle du monde yéménite du XXIe siècle dans lequel le journaliste 'Ali al-Muqri a eu le culot de lâcher cette bombe de papier tandis qu’explosaient ailleurs celles d’Al-Qaïda, sans oublier celles de la misère et de l’injustice qui aboutissent aux transes révolutionnaires du Yémen de 2011.

L’écrivain lâche dans le ciel de la littérature la comète d’une alliance interdite entre les enfants de deux religions qui s’affrontent aujourd’hui encore. Fatima et son beau juif l’homme avec qui elle s’enfuira, n’échangent pas que leurs regards et leurs caresses : avant de se prendre, ils se frôlent à travers les calligraphies et les textes de leurs religions jumelles. Avec cette volupté de l’âme qui est l’arme frémissante des amants impatients, ils échangent l’arabe et l’hébreu, le Coran et la Torah. "Je suis de ta foi comme tu es de la mienne", dit Fatima à son aimé, alors qu’ils s’envolent loin de leurs deux communautés. Une nouvelle version du Cantique des cantiques, ce psaume universel qui ouvre le shabbat juif: "Mon bien-aimé est à moi et je suis à lui."

La musulmane et le juif seront l’un à l’autre, l’un et l’autre. Rejetés par les uns comme par les autres. Amours tragiques, bien sûr, au coeur d’un siècle marqué dans le monde juif par le surgissement du "faux messie" Sabbataï Tsevi qui prétendait libérer ses frères de leur déréliction et les ramener à Jérusalem. C’est là que l’éblouissant 'Ali al-Muqri se fait historien, en nous plongeant dans la chronique des juifs yéménites, toile de fond de cette saga. Tout cela nous est conté avec une écriture d'or, de larmes et de lumière, grâces en soient rendues à la traduction d’Ola Mehanna et de Khaled Osman. Et tout cela nous fait franchir à tire-d’aile les murs des citadelles érigées hier, aujourd’hui et demain pour séparer les libres enfants d’Islam et d’Israël.

Martine Gozlan, MARIANNE, novembre 2011


Certaines histoires, vieilles de plusieurs siècles, résonnent parfois d'un écho d'une modernité inquiétante à nos oreilles. Ainsi celle rapportée par le Yéménite Ali al-Muqri,, qui met en scène Fatima, fille de mufti, et Salem, le jeune Juif qu'elle va initier au Coran et avec qui elle aura un enfant [...]
Ce récit, qui se déroule au XVIIe siècle, interpelle sur la permanence de l'obscurantisme religieux. L'écriture, souvent poétique, apporte un éclairage bienveillant à ces biens tristes destinées.

PSYCHOLOGIES, novembre 2011

Le Roméo et Juliette yéménite

 

Dans le Yémen du XVIIe siècle, Salem, l'artisan, est juif, et Fatima, la fille d'un religieux puissant, est musulmane. A priori, rien ne les rapproche. Mais c'est compter sans les vertus de l'amour. Ainsi va l'histoire, belle et passionnée, au mépris des interdits. L'issue sera fatale, évidemment. Qui s'attendrait à un happy end? L'écrivain Ali al-Muqri [...] dresse surtout là un beau portrait de femme libre.
Le style est sobre, clair, simple, l'histoire belle. On adhère sans hésiter, et on plonge très vite dans les eaux merveilleusement sombres de la mer Rouge!

CAUSETTE, octobre-novembre 2011

Salem et Fatima

Au Yémen, de la place de la religion dans l'amour
 

Elle est compliquée la question des religions. Le roman, sans la simplifier, un peu quand même, lui donne sa dimension tragique, à savoir que le romancier ne peut pas y répondre. Il ne sait pas quelle est la meilleure des religions. Y en a-t-il seulement une qui soit bonne? Sont-elles à l’origine de toutes les violences absurdes dont il fait le récit ou, au contraire, sont-elles apparues sous la plume des écrivains désireux de faire régner la paix entre les hommes?

Les juifs ont connu des hauts et des bas, au Yémen. Ils ont d’abord eu affaire aux chrétiens qui leur ont disputé le pouvoir, et inversement, puis sont arrivés les musulmans et ça n’a pas été facile non plus. En 1949, au cours de la fameuse et spectaculaire «opération Tapis volant», la presque totalité des 50.000 juifs yéménites ont quitté leur pays pour rejoindre Israël où ils n’ont pas été acceptés, encore moins intégrés, aussi facilement que ça.

La religion des écrivains, c’est l’histoire, ils la vénèrent, ils n’ont que cela en tête. Et parfois raconter l’histoire des religions. C’est  ce que tente de faire Ali al-Muqri avec Le beau Juif. Raconter l’histoire des religions au Yémen, au XVIIe siècle, à travers le destin d’un couple d’amoureux: le juif Salem, fils du pauvre boutiquier, et la musulmane Fatima, fille du riche et puissant mufti.[...]

Car Salem n’est qu’un enfant misérable quand il se rend dans la famille de Fatima pour exécuter des petits travaux, en échange d’une pâtisserie et de la condescendance du maître. Mais voilà que cet enfant, Fatima le trouve beau, et pour le revoir, elle prétexte lui apprendre l’arabe.
Salem devient au fil des années un petit érudit, un poète, et, contre les vents et les marées des préventions, principes et interdits qui, d’une religion à l’autre, les séparent, l’affection de la fille et la reconnaissance du garçon s’enflamment jusqu’à envisager une impossible, sacrilège et suicidaire liaison amoureuse.
L’envisager seulement, car dans le village, a eu lieu un drame [...] Cela devrait suffire à décourager Salem et Fatima. Mais les amoureux sont terribles avec leur religion de l’amour. Fatima envoie à Salem sa demande en mariage. Elle a trouvé dans le Coran des lois qui l’autorisent. Edifiés par ce qui est arrivé à leurs semblables, et très peu tentés par le suicide, ils décident de partir. "A peine étions-nous un peu éloignés de Rayda que Fatima est subitement descendue de son âne, me demandant de prendre sa place." Car la religion musulmane lui a appris qu’une femme sur un âne ou un cheval, ça n’est pas convenable. A quoi Salem répond: "Nous les juifs, on n’est pas non plus autorisés à monter les chevaux; on peut monter un âne, mais à condition de ne pas passer devant un musulman assis."
Le torrent de l’histoire qui charrie tant de haine se chargera d’emporter, sans y répondre, la question que pose l’écrivain sur la place de la religion dans l’amour.

Christophe DONNER, LE MONDE MAGAZINE, 17 septembre 2011

Roméo et Juliette, version yéménite

Premier roman traduit en français d'un écrivain qui décoiffe à Sanaa.
 

Jusqu'à présent inconnu en France, où la littérature yéménite l'est presque tout autant, Ali al-Muqri semble en être l'un des représentants majeurs, et plutôt décapant. Journaliste, directeur de revues littéraires, il a publié en 2007 un essai sur l'alcool et l'islam, puis un premier roman, Black Taste, Black Smell, en 2008, sur les Achdam, les Noirs arabisés du Yémen, sujet tabou s'il en est.

Le beau Juif, qui nous parvient aujourd'hui, est son deuxième roman, paru en 2009. Etant donné son sujet, il a dû susciter lui aussi, dans le tout-Sanaa, des réactions passionnelles.
Ce "beau Juif", c'est le jeune Salem al-Nacache, fils d'un charpentier maître en qamariya (des fenêtres ouvragées ornées de vitraux, spécialité yéménite), qui vit dans la petite ville de Rayda, dans le pays profond. On est en 1644,
et la cohabitation entre la communauté juive et les maîtres musulmans n'est pas trop conflictuelle.Les uns obéissent et payent tribut, les autres les tolèrent.

Un jour, Salem fait la connaissance de la belle Fatima, qui n'est autre que la fille du mufti de Rayda! De cinq ans plus âgée que le garçon, elle
en tombe aussitôt amoureuse. Et réciproquement. Les tourtereaux vont tout faire pour se rapprocher: Juliette décide d'enseigner à son Roméo à lire et à écrire en arabe (donc le Coran), et le prie en retour de lui apprendre l'hébreu.
Mieux connaître l'autre pour l'aimer plus. Mais le scandale, dans les deux communautés, est immense, surtout quand, Salem ayant atteint ses 18 ans, les amoureux décident de se marier et s'enfuient à Sanaa.

Partout ou presque, ils rencontrent l'intolérance, la haine, le rejet. Ce "Juif qui psalmodie le Coran" et cette "femme adultère" n'appartiennent à aucune communauté. Et, de surcroît, Fatima est enceinte. Le petit Saïd sera-t-il juif par son père ou musulman par sa mère? Salem n'en a cure, d'autant que Fatima meurt en donnant la vie. Par fidélité à sa mémoire, il se convertira à
l'islam sous le nom d'Abdelhadi, puis reviendra à ses racines en rédigeant une Chronique des Juifs yéménites. Il y raconte comment le nouvel émir de Sanaa, Al-Mahdi, fit expulser les Juifs de la ville et détruire leurs synagogues.[...]

Il est clair qu'en ces temps de fanatisme généralisé, le propos d'Ali al-Muqri n'est pas innocent, et son but apparaît évident: essayer de rendre les gens meilleurs grâce à la littérature.

Vaste programme! Le joumaliste-écrivain moraliste doit participer avec passion à ce « printemps yéménite», qui semble bien long à éclore.

J.-C. P., LIVRES HEBDO, 23 septembre 2011


Amours impossibles

Salem le juif peut-il épouser Fatima la musulmane ? A travers ce roman situé dans le Yémen du XVIIe siècle, Ali Al-Muqri évoque le monde arabe actuel, incapable d’accepter les différences.

 

Fatima est comme une fraîche rosée pour un Yémen prometteur. Elle se laisse charmer par Salem, le fils de l’orfèvre juif, qu’elle appelle “le beau Juif”. Lui, du haut de ses 12 ans, est ébahi par la gentillesse que lui témoigne la fille du mufti. Elle demande à son père, vénérable homme de religion, l’autorisation d’enseigner l’arabe littéraire à Salem, en expliquant que cela l’amènera à l’islam. Le père accepte. Salem se met à fréquenter la maison du mufti et son cœur à battre pour Fatima, de cinq ans son aînée. Son amour l’amène à aimer la langue arabe. Fatima lui demande en retour de lui apprendre l’hébreu et de lui expliquer sa religion et sa culture. Mais Salem ne connaît pas l’hébreu. C’est seulement parce que son père, ses oncles et quelques rabbins se méfient du mufti et de sa fille, et qu’ils l’envoient apprendre la langue et la religion hébraïques dans une école religieuse qu’il pourra instruire Fatima. Son âme aspire à s’unir à la sienne. Fatima lui dit qu’elle ne voit en lui que beauté, ce qui lui vaut le surnom qu’il gardera jusqu’à sa mort : “le beau Juif”.

Voilà ce que nous relate le poète et romancier yéménite Ali Muqri dans son nouveau roman, Al-Yahoudi al-hâli [paru à Beyrouth en 2009 aux éditions Dâr al-Sâqi]. Il dépeint les relations entre musulmans et juifs dans le Yémen du XVIIe siècle.

A l’époque, à Raydah, musulmans et juifs vivaient en bonne intelligence [cette localité, à environ 200 kilomètres au nord de la capitale, Sanaa, abrite une partie des derniers représentants de la communauté juive yéménite]. Il y avait de la beauté et de la laideur, du dialogue et du repli, de la chaleur humaine et des crispations. Et il y avait Fatima et Salem, minoritaires face à l’écrasante majorité. Si l’esprit de Fatima s’était étendu à tous les musulmans de Raydah, tous les juifs de la ville seraient devenus beaux comme Salem. Et si l’esprit de Salem s’était étendu à toute sa communauté, tous les musulmans auraient ressemblé à Fatima. Si cela s’était produit non seulement à Raydah, mais aussi dans l’ensemble du pays, ainsi qu’au Maroc, en Tunisie, en Algérie et en Irak, cela aurait créé une unité que les étrangers venus du nord, ceux qui ont arraché la tribu de Salem au Yémen pour la transplanter à Tel-Aviv [en 1949, juste après la création de l’Etat d’Israël], n’auraient pas pu ébranler. [...]

Fatima et Salem ne sont pas seuls. Il y a également Qassem, le fils du muezzin, qui s’est épris de Nachoua, la fille de Haïm le Juif. Tandis que les deux jeunes échangent des billets doux, leurs pères se vouent une haine réciproque. Dès qu’ils apprennent ce qui se trame entre leurs enfants, ils se retrouvent unis par une même colère. [...] Après un bref instant de répit et d’union face à l’ennemi commun – l’amour entre Qassem et Nachoua –, tout le monde reprend ses habitudes de haine de l’autre. Quant à Fatima et à Salem, [...]ils n’ont que faire des limites, des catégorisations et des normes. Ils vivent comme sanctuarisés dans la citadelle d’un amour à part. [...]

Khaled HROUB, AL-ITTIHAD (ABOU DHABI), repris dans COURRIER INTERNATIONAL, 18 février 2010 (à propos de l'édition originale en arabe)