La Malédiction d'Azazel
Roman de Youssef Ziedan
traduit de l'arabe (Egypte) par Khaled Osman


Si j’ai eu un peu de mal à me laisser embarquer durant les premières pages, dès lors qu’Hiba est revenu sur son passé, sur les évènements tragiques dont il a été témoin, sur ses rencontres les plus marquantes, le livre a pris un tour qui m’a davantage plu.

Ce qu’on lit est présenté comme la traduction de parchemins découvert près d’Alep, rédigé par un moine témoin de grands troubles en Egypte, notamment. Cette confession est motivée par un sentiment de culpabilité, et par cette voix, celle d’Azazel ou celle de sa conscience, qui semble le poursuivre pour qu’il consigne les grands évènements de sa vie, ainsi que ses réflexions. Lorsque Azazel intervient, c’est pour le rappeler à l’ordre, lui dire de reprendre son récit (ce qui a pour effet de le couper dans certains passages qui restent ainsi inachevés). Une autre particularité du récit consiste à nous annoncer un personnage, un évènement pour susciter notre curiosité, après quoi Hiba prend le temps de nous raconter tout le cheminement qui y a mené.

Que dire d’Hiba? C’est un personnage très attachant, soumis à des désirs d’hommes auxquels il succombe pour ensuite se repentir. C’est aussi un moine sincère, parfois saisi par le doute, bien plus méritant que nombre d’évêques et autres hommes d’église liés au pouvoir. Au commencement, Hiba est né d’un père païen et d’une mère chrétienne, c’est certainement cela qui fait de lui quelqu’un de plus ouvert que beaucoup de ses contemporains.

Ainsi il est né à une époque charnière où la religion chrétienne s’étend et où les païens sont persécutés. Il va se vouer très jeune à une vie monacale. Hiba est pacifique, érudit, curieux de philosophie, passionné de livres (il possède des livres interdits qu’il conserve secrètement). Il est de ces moines exemplaires dont l’ouverture d’esprit force l’admiration, et dont on se dit que le monde aurait été bien différent s’il y en avait eu davantage.

Hiba est aussi prompt à questionner sa foi, s’interroger sur l’origine de la religion (il note que Dieu existe depuis la nuit des temps dans le cœur des hommes, mais que les religions changent, ce qui l’amène à s’interroger sur les vérités que tendent à établir les théologiens).

Témoin direct de terribles exactions commise par les chrétiens à Alexandrie entre autres, cela ne va qu’accentuer son désir de vivre à l’écart de ses contemporains, à vivre reclus. Mais même dans son monastère, de tristes nouvelles ne tardent pas à arriver...

Ce roman est vraiment captivant. C’est une période de grands troubles aussi bien pour l’Egypte, que pour la Chrétienté divisée par des questions de théologie. Entre deux cultures par sa naissance, Hiba est prédisposé à une ouverture d’esprit, ce qui rend son regard sur le monde très intéressant. Enfin, le fait qu’il soit rédigé à la première personne donne plus de force au récit. Bref, il y a plein de raisons pour se pencher sur ce roman.

CELINE sur les pages de son Café littéraire, 10 mars 2014



Il y a une dizaine d’années, au nord d’Alep, au milieu de ruines archéologiques, a été retrouvé un ensemble de parchemins qui constituent le récit autobiographique d’un moine, Hiba, ayant vécu dans la première moitié du Vème siècle. Ce récit, c’est l’histoire d’une âme torturée entre sa foi et ses désirs, et assaillie par Azazel, le démon. Le narrateur, venu à Alexandrie pour faire des études de médecine et parfaire ses connaissances en théologie, est animé d’une foi fervente mais il est cependant vite horrifié par la violence religieuse des chrétiens, notamment par le lynchage de la grande philosophe platonicienne Hypathie.

Ce roman passionnant aussi bien d’un point de vue narratif que réflexif nous entraîne dans les premiers siècles du christianisme, religion alors en train de se constituer dans son opposition au paganisme, et dont les errances du dogme sont un des enjeux du récit: les querelles théologiques,  par exemple autour de Nestorius et de la question de savoir si oui ou non Marie peut être qualifiée de Theotokos (mère de Dieu), sont un des ressorts essentiels (et peuvent paraître complexes sinon totalement saugrenues) à la fois pour l’Histoire (celle du monde) et l’histoire (d’Hiba).

Le roman est toujours sur ce double niveau : à grande échelle, une religion déchirée, qui veut faire table rase du passé et éradiquer les sciences et la philosophie païenne, quitte à semer la violence et les ténèbres; d’ailleurs, le texte n’est pas tendre avec ce christianisme des origines, qui sème la terreur autour de lui : "Ils dévorent tout ce qui a de la chair dans cette ville, et remplissent notre vie de morosité et d’intransigeance". Et puis, il y a Hiba, moine chrétien qui voit avec horreur les massacres perpétrés par une religion qui est pour lui celle de l’amour, qui voit avec horreur les enjeux politiques dans lesquels elle se perd, alors que lui n’aspire qu’à vivre simplement sa foi ; c’est donc l’aventure d’une âme, tiraillée parfois entre le christianisme et tout ce que le paganisme a de positif, une âme qui ne sait plus parfois où est le Bien et où est le Mal, placée parfois dans un cruel dilemme entre le charnel et le spirituel. Une âme harcelée par Azazel. Mais Azazel n’est pas forcément là où l’on croit…

Bref, un très beau roman, qui pose beaucoup de questions et fait réfléchir, même s’il est parfois un peu difficile à saisir, parce que très érudit.


Caroline DOUDET sur son blog CULTUR'ELLE, 7 février 2014



Ce livre n'est pas un roman historique comme les autres, car son auteur n'est pas un ecrivain comme les autres. Youssef Ziedan est a la fois le directeur du Departement des manuscrits a la Bibliotheque d'Alexandrie et un editorialiste engage dans la revolution egyptienne. C'est ce qui donne a cette reconstitution du Ve siecle de notre ère un aspect aussi vivant, aussi moderne. Ce specialiste de l'islam et du soufisme est capable de ressusciter les querelles d'une extreme violence qui agiterent le monde chretien. Ainsi, la controverse qui opposa Nestorius a Cyrille pourrait nous sembler totalement obsolète: racontée par un homme poursuivi en justice par le gouvernement des Freres musulmans, elle nous passionne. Et si La Malediction d'Azazel a ete traduite dans le monde entier, c'est parce que le combat entre Dieu et Satan, entre la noblesse des hommes et leurs pulsions les plus basses est une realité universelle. Une realité eternelle.

COMITE DE LECTURE du site Nouvelles clés, février 2014