Les
Récits de l'institution
Roman
de Gamal Ghitany traduit de l'arabe par Khaled Osman
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On l'appelle
l'Institution. Inutile d'ajouter un complément ou un adjectif,
sa majuscule suffit à la distinguer de toutes les autres.
Elle dresse au Caire ses douze étages de marbre blanc, encerclant
un gouffre dont nul n'a jamais mesuré la profondeur. Jetez-y
une pierre, vous ne l'entendrez pas tomber.Un jour peut-être,
l'immeuble entier y sombrera et l'Egypte avec lui.
Déjà
les murs se fissurent et le bilan n'affiche plus la triomphale santé
qui lui avait permis de résister aux secousses politiques,
nationalisation, reprivatisation, mondialisation... Aucun des présidents
qui se succèdent à la tête de ce conglomérat
géant n'arrive à la cheville du père fondateur,
Dieu ait son âme. Un mal sournois flotte dans l'air du temps,
empoisonne les consiences, ronge jusqu'à la momie de Ramsès
II.
A qui
la faute? Aux femmes quji se permetent de porter des pantalons?
A la haute finance qui n'a de comptes à rendre qu'aux banques suisses?
Au réchauffement de la planète qui tue dans l'oeuf toute vélléité
de scrupule ou de révolte? Demain, tout le monde sombrera dans un
sommeil définitif mais en attendant, pour résister à la torpeur,
il convient de ne jamais se taire(...)
Gabrielle
Rolin, Lire, octobre 2001
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On
n'entre pas dans Les
Récits de l'Institution sans rêver aussitôt devant un tremblement
de terre extraordinaire et un abîme ouvert dans la terre, qui pourrait
engloutir tout ce qui l'entoure et l'Institution elle-même.
Cela ne porte pas d'autre nom : l'Institution, comme on dirait le
Système, mais il faut conjurer l'abstraction de la chose pour commencer
à entrevoir que la réalité cachée est concrète, aussi concrète qu'un
immeuble construit en pleine campagne et qu'un grand complexe industriel
comme n'en fabriquent pas les légendes.
La spécialité
de cette littérature, comme souvent les oeuvres orientales, est
de nous renvoyer à notre propre image occidentale. L'Institution,
aussi perfectionnée qu'un labyrinthe et aussi trompeuse, condense
dans ses rouages et ses agents de haut niveau l'univers du marché
surorganisé, avec les magasins, les ateliers, les bureaux, les foyers
d'étude, l'information, les restaurants. Il n'y manque même pas
deux tours jumelles et le romancier appliqué à l'inventaire a recensé
tous les types de fonctionnaires modernes, implantés aux environs
de la vieille ville du Caire. Les intrigues s'enchaînent sur les
pas du fondateur, et on ignore en réalité quel homme était ce vénérable
PDG ; on se dispute le fauteuil présidentiel au 12e étage ; le successeur
se barricade dans le secret, à se demander s'il existe. Existent
bel et bien les femmes, les intrigantes, les secrétaires toutes
puissantes, que Ghitany entoure de ses complaisances érotiques.
L'oeuvre
est foisonnante, d'une redoutable lenteur, ironique au point d'imaginer
un " ami de la circulation " organisant un gigantesque embouteillage,
un professeur régentant l'attribution des voitures de fonction ou
encore un expert en techniques de proxénétisme.
Lucien
Guissard, La Croix, 4 octobre 2001
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[...] Les Récits de l’Institution plonge dans un univers kafkaïen. Un empire industriel avec les luttes pour le pouvoir qui le traversent - et le font vivre -, les lois immuables de la succession "au fondateur". "Il rectifia les noms que sa femme n’avait pas bien saisis, ou qu’elle n’avait pas pris la peine de noter - trois jours plus tôt, il avait failli lever la main sur elle et la gifler, pour la première fois depuis leur mariage, parce qu’elle avait écrit Mersâl au lieu de Abdelaâl. Le colonel Abdelaâl était un officier des renseignements généraux, son appel en cette période était lourd de signification."
Gamal Ghitany [mobilise]
ses talents de conteur, portés par une langue sans fioritures, et
une écriture un peu conventionnelle toutefois, pour nous plonger
dans le microcosme métaphorique de n’importe quelle société, publique
ou secrète, entreprise ou parti politique. Dépeignant
des personnages du quotidien égyptien, cocasses souvent, glauques
parfois, le récit est souvent rattrapé par "le tremblement de terre
de juin 67".
Sadek Aissat, l'Humanité, 27 septembre 2001
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Récits et anecdotes s’enchaînent sans fin, formant une chronique interne de la vie de l’Institution, qui tient une place considérable dans la vie de l’Egypte, mais dont il n’est jamais dit ce qu’elle fait ni à quoi elle peut servir… Jeux d’argent et de sexe, et surtout d’ambition et de pouvoir, entre les dirigeants et les membres subalternes de l’Institution se déroulent et reviennent comme les godets d’une noria. On pense au Château de Kafka, mais d’un Kafka drôle…
Il y a certainement des allusions à des personnages de l’histoire
récente de l’Egypte (autres que [Sadate] et Nasser, seuls nommés)
qui échappent au lecteur occidental. Des allégories, comme le trou
sans fond près duquel est bâti le siège de l’Institution, invitent
à prolonger la lecture par un rêve incertain.
Au milieu d’une foule de personnages très humains, l’incertitude
distillée, les allusions mystérieuses et l’imaginaire plus ou moins
réalisé forment un parfum oriental épicé et savoureux.
Pierre Sempé, revue Etudes du Cairn, juin 2002
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