Au
fil des quatorze textes qui composent l'ouvrage, des gens de tous bords
sont pris par le magnétisme des Pyramides. Parmi les voyageurs curieux
de l'Egypte, les habitants de Nazlet Al-Semman, les bandes de jeunes
qui risquent l'aventure et arpentent le dédale intérieur de la construction,
des figures se détachent et capturent l'attention du narrateur, témoin
oculaire d'autant d'expériences occultes qu'il y a de textes dans ce
livre mosaïque. Notre attention est captée avec autant de force.
L'expérience
de la lecture de Pyramides de Ghitany laisse une impression d'envoûtement.
On est tenté de le relire pour mieux déchiffrer le sens encodé
derrière chaque phrase. Les degrés de sens, derrière
l'impeccable beauté formelle, sont aussi illimités que le nombre de
pierres de la pyramide. A chaque étage, un niveau de connaissance différent,
supérieur, est révélé. Une facette du mystère est élucidée. « A
celui qui s'obstine se dévoileront les merveilles »,
écrit-il.
« Avec
le temps vient la connaissance ultime ; à condition de persévérer »,
lit-on. Avec le temps aussi la terre est menée vers le couchant. « Pourquoi
associait-on toujours les Pyramides au couchant, n'y avait-il aucun
témoignage, aucun texte ancien rapportant l'existence de pyramides édifiées
du côté du levant ? ».
Le couchant est l'instant qui résume en son essence l'idée principale
de Ghitany, la quintessence de tout son livre. C'est le symbole d'un
nouveau commencement qui s'annonce. D'une traversée à venir. En Egypte
Ancienne, c'est bien connu, mourir était voyager (...)
Au commencement
(...) se trouve l'histoire d'une rencontre. Un jeune homme avide de
lectures se lie d'amitié avec un vieil homme venu d'Oued-Zem au Maroc
en quête du secret de la pyramide. Ayant habité à sa venue Nazlet Al-Semman,
le sage migrant s'est établi ensuite dans le quartier millénaire d'Al-Azhar.
"Du
haut des minarets, il pouvait jouir d'une vue sur les Pyramides qui
lui permettait de mieux apercevoir les inscriptions anciennes."
C'est que
le cheikh Tuhâmi connaît l'art de porter le regard ; au jeune
homme, il livre les secrets qu'il a cachés à autrui : sa passion
pour l'astronomie, les raisons qui l'avaient poussé à s'inscrire à Al-Azhar,
sa recherche d'une réponse à un questionnement sur les Pyramides, son
attente d'un visiteur qui viendrait [lui vendre] un manuscrit où
se trouverait consigné le secret de la pyramide. Le jeune homme
perd soudainement de vue le cheikh Tuhâmi, ne sachant ce qu'il
en sera de l'aboutissement de sa quête : « Après
s'être avisé de sa disparition, il n'a pas cherché à retrouver sa trace.
Pourtant, en découvrant l'esplanade déserte, il a éprouvé comme un douloureux
pincement au cœur. Il ne cesse depuis de s'interroger : à quelle
étape l'homme était-il parvenu lorsqu'il l'a rencontré ? Où en
était-il de la quête qu'il poursuivait pour élucider le mystère des
pyramides ? ».
Ici, c'est l'héritage
pharaonique qui s'est uni au patrimoine arabo-musulman afin de mettre
en relief deux substrats consubstantiels de la mémoire collective. Le
résultat n'est pas une mésalliance, c'est un mariage des plus heureux,
qui donne à voir l'édifice pharaonique à travers le prisme de
la sensibilité musulmane. Le sable du désert trace par sa fuite blonde
un trait d'union entre deux temps qui se réconcilient l'espace d'une
fiction. Khaled Osman a su recréer avec fidélité le texte arabe. Il
restitue l'opposition des pleins et des vides comme celle des pleins
et des déliés. Il poursuit son chemin de traducteur avec une énergie
égale et renouvelée. Quant aux pierres majestueuses qui ont inspiré
ces textes des pyramides, elles vont régner pour l'éternité.