Les Poussières de l'effacement
de Gamal Ghitany, traduit de l'arabe (Egypte) par Khaled
Osman. Copyright Editions du Seuil, 2008.
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Présentation de l'éditeur (quatrième de couverture)
Que reste-t-il dans la mémoire une fois que l’oubli a fait son œuvre ? Comment garder trace de ceux que nous avons croisés, des êtres qui nous étaient chers, des femmes que nous avons aimées, des lieux que nous avons traversés ? Comment arracher au néant les instants passés ? Comment conjurer la fuite du temps ?
Arrivé à la soixantaine, un homme décide de poser
sur le papier tous ses fragments de souvenirs et d’explorer sa mémoire
à la recherche des poussières qui ont résisté à l’effacement. Quartiers
du vieux Caire, lieux de l’enfance, rencontres, éveil des sens, voyages,
les chemins qu’emprunte Ghitany sont tantôt faits de récits, de contes,
d’anecdotes où prime l’émotion, tantôt de questionnements sur les paradoxes
de l’oubli ou le mystère de l’effacement ultime, quand notre conscience
fusionne avec l’absolu.
Il naît de ces pages une émotion et une profondeur qui font de Gamal Ghitany un des plus grands écrivains de langue arabe.
Gamal Ghitany est né en 1945. Dessinateur de tapis à dix-sept ans, il publie parallèlement son premier recueil de nouvelles. Grand reporter à vingt-trois ans, considéré comme l'héritier de Naguib Mahfouz, il est l’auteur de nombreux recueils de nouvelles et de romans, dont Le Livre des Illuminations, salué comme un chef-d’œuvre de la littérature universelle.
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Extrait du livre
Oui, ces petits éclats effilochés qui ont survécu à l’anéantissement
du temps ne sont que les poussières qui subsistent
de l’effacement ayant gagné mes instants révolus. Ces instants
par lesquels je suis passé ou qui sont passés à travers
moi m’ont tantôt épuisé, tantôt éprouvé, mais il y en a eu
aussi pour m’enchanter, pour m’emporter sur leurs ailes
jusqu’aux plus hautes cimes.
Avec l’approche du terme, tout se concentre, les époques sont portées à incandescence,
formant de petites étincelles qui se consument en moi ou bien me traversent
sans s’arrêter ; si je décrivais leur parcours à ceux qui sont restés
et ont patienté à proximité de moi, ils s’étonneraient et seraient pris
de stupeur. Telles sont mes poussières, tout ce qui de mon passé est demeuré
présent en moi. La totalité de ce que j’ai accompli n’est au final que
l’ombre d’ombres effacées, des traînées laissées par des nuages qui se
sont dissipés, les fantômes de personnages qui ont passé leur chemin,
certains que j’ai connus et fréquentés, d’autres dont j’ai seulement entendu
parler, qui sont venus à moi en provenance de portails qui m’étaient inconnus,
des portails qu’ils ont fran chis en s’éloignant d’autres portails impossibles
à recenser. Des heures révolues, de simples allusions à ce qui a été,
des signaux qui désignent les cycles mystérieux de l’Univers et les courbes
qui me replient entre leurs plis.
Mes poussières sont les échos de désirs, de peurs, d’affections,
de tristesses, de convoitises, les ombres imperceptibles
d’une rosée qui s’est formée au-dessus des replis de l’âme. Le
fond de mon horizon est encombré de gémissements jamais
entendus, de cris de douleur jamais émis, de chuchotements
de planètes, de scintillements d’étoiles qu’un jour j’ai tenté,
l’espace d’un instant, de scruter de mon regard épuisé,
d’astres que j’ai interrogés sur leur position, sur leurs satellites, sur les traces qu’ils avaient laissées de leur parcours à travers les âges. Certains de ces astres survivront des millions
d’années après moi, d’autres sont déjà éteints depuis des millions
d’années – même si je perçois toujours la lumière issue
de leur gloire passée. Feignant d’ignorer que je suis inéluctablement en partance, j’observe aujourd’hui ce qui tenait de
moi comme je scrutais naguère telle étoile défunte, tous deux
relèvent du passé. Je ne suis plus celui qui l’a observée, celuici
était un autre moi qui a suivi un temps un chemin parallèle au mien, avant de dériver irrémédiablement loin de mon moi d’origine. J’essaie de rassembler ce qui reste de ses poussières – de mes poussières. Maintenant que s’approche l’heure et que mon tour est venu d’être fauché, j’essaie de me raccrocher à ces miettes, sait-on jamais ?
C’est pourquoi j’ai entrepris de consigner ce qui a surnagé,
ce que je suis encore capable de convoquer comme ce qui
surgit spontanément à ma conscience, sans faire cas des
époques ni des lieux, les questions qui resteront sans réponses
quand je partirai et que je peux seulement énoncer.
Je n’ai pas cherché l’ordonnancement, je n’ai point poli ma
narration. Il existe une petite chance pour que ce qui
remonte aujourd’hui à ma conscience soit emblématique de
ce que je suis. Il existe une petite chance pour que ce que je
recueille soit révélateur d’une partie de ce qui a émané de
moi, de la nostalgie et de la douleur que j’ai exprimées au
cours de mon itinéraire, durant ces préparatifs vers la sortie,
et cela me suffit…
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