La marcheuse Roman de Samar Yazbek, traduit de l'arabe (Syrie) par Khaled Osman |
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La petite princesse de la Ghouta L'écrivaine syrienne Samar Yazbek évoque l'horreur de la guerre civile avec une saisissante luciditédans son roman La Marcheuse.
Le malheur isole. Il rend invisible. Même lorsqu'il frappe aux yeux de tous, devant les médias du monde entier, comme c'est le cas, depuis 2011, pour la guerre civile en Syrie. Jusqu'où serons-nous affectés? A quel moment l'émotion et la solidarité sont-elles remplacées par l'indifférence et l'oubli? Ces questions sont au coeur du travail de l'écrivaine syrienne Samar Yazbek (née en 1970, à Lattaquié), à qui son opposition active au régime de Bachar Al-Assad a d'abord valu menaces et emprisonnement, avant de la contraindre à l'exil. Son précédent ouvrage, Les Portes du néant (Stock, 2016), retraçait les trois périlleux voyages clandestins qu'elle a effectués, en 2012 et 2013, dans les zones de combats les plus violents de son pays. Un témoignage d'une force d'évocation extrêmement puissante. Parole et mouvements entravés Aujourd'hui, Samar Yazbek va plus loin encore. S'aventurant jusqu'au plus intime, elle renoue avec le roman, sa vocation première (Un parfum de cannelle, Buchet-Chastel, 2013). Parmi l'ensemble des ouvrages qui nous parviennent de Syrie ou de la diaspora, elle fait entendre un timbre inédit, qui mêle l'absolu réalisme et le merveilleux. Rima, la narratrice de La Marcheuse, est muette. Elle n'entend le son de sa voix qu'en de très précises occasions: quand elle cantille le Coran, lit à voix haute Le Petit Prince, [...], ou lorsqu'elle crie ou gémit parce qu'elle a mal ou peur. Elle est aussi affublée d'une étrange manie: elle ne peut s'empêcher de marcher: «Mon cerveau se trouve dans la partie inférieure de mon corps et je ne peux interrompre cette bougeotte agaçante de mes pieds.» [...] On la dit folle, elle ne l'est pas. C'est autour d'elle qu'explose la folie. Elle va en prendre la mesure au cours d'un voyage qui la mènera au cœur de l'enfer de la Ghouta, près de Damas, enclave rebelle assiégée par l'armée d'Assad entre 2012 et avril 2018. «A présent, je comprends mieux: ici, les gens meurent vraiment, alors que là-bas on capte uniquement le bruit qui donne la mort aux gens.» C'est comme ça que parle Rima, ou plutôt qu'elle écrit, au terme de son voyage - qui est aussi celui de sa courte vie - dans le souterrain où, le poignet attaché à un poteau, minée par la faim et les sévices physiques, elle a trouvé une liasse de papier et un stylo bleu. Sans condamnation morale ni parti pris pour l'un ou l'autre camp, elle raconte ce qu'elle a vu et entendu au plus près des corps suppliciés, des femmes et des hommes humiliés. Jusqu'à son agonie qu'elle décrit avec une confondante sobriété. Etonnement face à la violence Ce texte à l'encre bleue est, comme le dit une expression arabe, d'une complexe simplicité. Rima s'autorise les digressions que lui imposent sa mémoire et son imaginaire, d'incessantes répétitions qui disent son étonnement face à la violence inouïe qu'elle découvre. Elle essaye de comprendre, cherche, tâtonne et fait naître en nous - nous, les lecteurs qui sommes gavés d'images et de mots - un regard neuf, le même effarement que le sien, la même colère que celle de Samar Yazbek. La Marcheuse est avant tout l'œuvre d'une artiste à la recherche d'un langage. Un livre qui cherche à rendre la confrontation entre la vulnérabilité et l'extrême violence. Et qui y parvient. Pendant les années de la grande terreur des purges staliniennes, Anna Akhmatova (1889-1966) a fait interminablement la queue devant les prisons de Leningrad où son fils était incarcéré. Dans son recueil de poèmes Requiem, elle se souvient d'un échange avec une femme qui s'était approchée d'elle: «Et ça, vous pouvez le décrire? / Oui, je le peux / Alors, quelque chose comme un sourire glissa sur ce qui, autrefois, avait été son visage.» Ce que peut la poésie, toute autre écriture le peut aussi quand elle est portée par une haute conscience morale - et par conséquent politique -, par une nécessité vitale, une obstination créatrice, et par cette "chose" mystérieuse dont Samar Yazbek est pétrie et qu'on appelle la grâce. Eglal Errera, LE MONDE DES LIVRES, 28 septembre 2018
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Au pays de l'enfer
Elle comprend le français, mais elle préfère parler en arabe. Par crainte de perdre sa langue. "Ce serait un double exil", explique dans un sourire grave la blonde Samar Yazbek, réfugiée en France depuis l'été 2011. Pour avoir participé à la révolte contre le régime de Bachar el-Assad, cette intellectuelle laïque et démocrate est devenue une proie pour les extrémistes de tous bords. "Et je me sentirais encore plus coupable", poursuit-elle. La fameuse culpabilité de l'exilée, qui sait que son peuple continue de vivre l'horreur, sept ans après le début de la guerre civile. C'est de cet enfer que la romancière et journaliste de 48 ans traite une nouvelle fois, apres Les Portes du néant, prix du Meilleur livre étranger 2016. Cette fois-ci, c'est par le biais d'un roman, La Marcheuse, traversé par la grâce et nourri par les éblouissements de son enfance: Alice au pays des merveilles, Le Petit Prince, Le Livre de Kalila et Dimna, recueil de contes d'origine orientale. Avec cette idée forte que les mots permettent de construire un monde meilleur et de repousser la laideur. La marcheuse et narratrice, c'est Rima, femme-enfant, frappée depuis ses 4 ans d'un double trouble: telle une disciple de Socrate, elle va de l'avant,irrépressiblement, et telle la femme arabe, bâillonnée aussi bien par les hommes que par les religieux, elle a perdu l'usage de la langue. Afin de la préserver des dangers, sa mère l'attache, au pied du lit ou à son poignet. Jusqu'à ce que le lien se défasse lors d'une fouille à l'un des barrages tenus par les agents des services secrets du régime. Ces checkpoints, Samar Yazbek, qui est retournée clandestinement à trois reprises en Syrie en 2012, les a connus. Comme son héroïne aussi, elle a éprouvé la peur des obus qui tombent tout autour de soi, cette angoisse qui "creuse des ravines dans le corps". "On me dit courageuse, peut-être, mais je suis une femme qui a peur, affirme-t-elle. [Cette peur] est en moi, pour longtemps." Après la disparition de sa mère, la jeune Rima entame sa descente aux enfers, d'un hôpital-prison aux gaz asphyxiants largués en périphérie de Damas. "Pour décrire ces scènes, je me suis inspirée des documents de l'avocate Razane Zaytouna, disparue en décembre 2013 et à qui je dédie mon livre, confie Samar Yazbek. Pour les détails sur la vie quotidienne dans les décombres, j'ai interviewé nombre d'exilés à travers toute l'Europe. Qui m'ont raconté aussi la tentation de la mort, synonyme de paix et de repos face à la désolation." Mais La Marcheuse n'est pas que bruit et fureur. Car même au fin fond de son souterrain, Rima sait qu'existe l'autre côté du miroir: la beauté d'un dessin, le rire d'un enfant, le bleu du ciel, la pureté d'une "voix capable de faire pleurer la pierre"... Pour Samar Yazbek, le combat continue, toujours. Marianne Payot, L'EXPRESS, 28 septembre 2018
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Roman: Chargeant son héroïne de raconter la guerre syrienne depuis un abri, Samar Yazbek livre un texte d'une bouleversante acuité sur un conflit tragique dans la durée. Rima éprouve la guerre dans son pays, la Syrie, à travers son esprit d'adolescente isolée par un handicap singulier: un mutisme doublé d'un irrésistible besoin de marcher, de courir, de s'élancer, qui conduit sa mère à la tenir attachée par une corde. En toutes circonstances. "Je sais, ça paraît pour le moins curieux, mais il faut que tu me croies", lance Rima au lecteur. De telles bizarreries n'empêchent pas Samar Yazbek de déléguer le beau rôle de narratrice à cette héroïne "poussée vers l'avant". Depuis son abri souterrain de la Ghouta, banlieue de Damas tenue par l'opposition syrienne jusqu'au printemps dernier, Rima converse avec nous, à moins que ce ne soit avec sa solitude, dans un échange bouleversant d'un malheur qui transperce la fausse ingénuité de ses propos. "Plus tard, j'essaierai de t'expliquer ce que signifie la faim, mais vu que j'essaie de te présenter mon récit de la manière la plus structurée possible, je vais laisser de côté cette sensation qui ressemble à un triangle", annonce-t-elle. Et, nous montrant le chemin entre les gravats de la douleur, Rima de poursuivre sur la peur, qui "te creuse des ravines dans le corps", et dont le "siège est situé dans les jambes". La "guerre", le mot ne sort guère de sa bouche car, sous les bombes, celle-ci est bien plus que quelques lettres. C'est le "vacarme des avions", des uniformes kaki, noirs ou gris selon les allégeances, une même pomme grignotée chaque jour avec parcimonie - dernier viatique -, des décombres et un chien famélique, les "yeux résignés et accablés", qui en extrait une main "bien réelle qui avait pris la couleur du ciment". L'attaque chimique dont la Ghouta a été la cible, en août 2013, n'est évoquée que par ses symptômes: une odeur étrange, des pustules, des vomissements, des corps inertes. La mère de Rima, son frère et tous les autres finissent par disparaître - jusqu'aux mouches. "Une boule de vide" s'empare de son estomac. Elle est seule et, depuis son terrier, s'accroche aux restes du réel - un "pan de ciel visible". Pourtant, jamais Rima ne se plaint. Lui confier la narration de son roman fut un choix heureux de l'auteure. Samar Yazbek, exilée en France depuis 2011, livre ainsi un récit d'une acuité saisissante, sans malice, et nous plonge dans un long chagrin pour les milliers de Rima, que, par un supplément de cruauté, la durée de la guerre - plus de sept ans - pourrait installer dans l'oubli. D'emblée, la malade atteinte de "bougeotte" avait prévenu : "Ne crois surtout pas que ce que tu es en train de lire est un roman." Marianne Meunier, LA CROIX, septembre 2018
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Un conte noir Dans
la Syrie martyrisée, Samar Yazbek donne la parole à une adolescente
mutique qui observe et tente de comprendre son monde détruit.
"Sais-tu seulement ce qu'est une balle magique? C'est une toute petite balle de caoutchouc transparent. Lorsque tu la jettes au sol, elle n'arrête pas de danser et de rebondir. A l'interieur, il y a des confettis d'une multitude de couleurs. Je peux te raconter les événements comme s'ils s'entrechoquaient a l'intérieur de cette balle magique, et sans même que tu te rendes compte que je suis en train de jouer avec." Rima est seule dans un "souterrain rempli de liasses de papier et de restes de matériel d'imprimerie", quelque part dans la Ghouta bombardée, désertée. Elle a faim, elle sait que la mort tourne autour d'elle, menace, viendra bientôt, sous une forme ou sous une autre. Sa mère a été tuée, à Damas où elles vivaient, lors d'un barrage militaire qui a mal tourné, elle-même y a été blessée, son frère, combattant le regime, l'a emmenée là et confiée aux mains d'un ami, avant de disparaître. C'est à cet ami, Hassan, dont elle aimerait pouvoir être amoureuse, qu'elle s adresse, monologuant, écrivant, dessinant. Elle tente de rassembler les fragments éparpillés de son passé à la fois riche et englouti, de recoller les morceaux d'une histoire que la guerre civile a fait voler en éclats. Déjà reconnue pour Un parfum de cannelle, Samar Yazbek avait rencontré une audience plus large encore avec Les Portes du néant (voir LMDA n°172), elle y relatait, dans un poignant voyage au bout de la nuit syrienne, la résistance a Assad et en même temps, la longue et atroce agonie des opposants et des populations civiles. Réfugiée en France, elle poursuit son combat en utilisant cette fois-ci l'arme de la fiction. Comment dépeindre la violence, les villes et villages réduits a néant, les corps blessés ou suppliciés dans la torture, l'attente désespérée, la lutte tout aussi désespérée et cependant entêtéee? Le choix peut paraître paradoxal: pour dire l'horreur, elle donne la parole à l'innocence. Rima, son héroïne adolescente, ne dénonce pas, ne crie pas, ne se plaint presque pas, elle qui, depuis l'enfance, n'a pas réussi ou n'a pas voulu parler, elle qui ne sait que psalmodier le Coran, s'efforce seulement de décrire au plus juste ce qui lui arrive, et qu'elle ne comprend pas. Pour cela, elle a recours aux mots mais aussi aux dessins. Le Petit Prince, en effet, et Alice au pays des merveilles, lui servent de viatique dans cette descente aux enfers, cette terrible nekuia, évocation de tous ceux qu'elle a perdus. Elle imagine des "planètes secrètes", elle dessine à sa maniere les lettres de l'alphabet arabe, elle se souvient de son education, quasi clandestine, dans la bibliothèque de l'école où sa mère était femme de menage. Elle parvient a comprendre pourquoi, depuis son enfance, elle la tenait attachée aux montants de son lit, voyant une forme de folie dans sa propension à vouloir marcher sans raison droit devant elle. Mais désormais, ce qu'elle se remémore sans cesse, ce ne sont pas des cauchemars dont elle pourrait se débarrasser au réveil mais bien des scènes réelles. Elle revoit "la nudité horrible" des blessés que les tortionnaires, à l'hôpital où elle a ete soignée, frappaient plus sauvagement encore, elle revoit "les corps étendus de nombreux enfants en pyjama", victimes d une attaque chimique, avec "cette écume qui leur sortait du nez, ce liquide orange qui jaillissait de leur bouche et le bleuissement de leurs corps". Espérons qu'à l'instant de mourir lui a été accordé de voir la rose du Petit Prince plutôt que ce tableau qui sans aucun doute se reproduit encore aujourd'hui: "Le chien a levé la tête en direction du ciel. ll n'y avait dans la rue que nous deux, ll était en pleine lumière, le soleil dardant sur lui ses rayons, et avant qu'il se mette à courir et s'efface au bout de la ruelle, j'ai eu le temps d'apercevoir ce qu'il avait réussi à extraire des décombres. C'était une main. Pas un dessin de main, non. Une main bien réelle, qu'il tenait entre ses crocs." Thierry Cecille, LE MATRICULE DES ANGES, septembre 2018
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Chronique Aucune guerre n’est inévitable ni nécessaire. Encore moins les guerres civiles.[...] Dans le cas extrêmement violent de la Syrie, il est facile de perdre ses repères, de passer à côté de l’essentiel. [...] La vérité est noyée dans le détail, les oublis sont alimentés par la peur et le déni, le brouillard des revendications légitimes et illégitimes jette sur la réalité un voile opaque, justifie la barbarie et innocente les agresseurs. [...] Après Les portes du néant, où Samar Yazbek racontait sa propre expérience en zone de guerre entre 2012 et 2013, son dernier roman emprunte en la sublimant la voie du journal intime non linéaire. Dans La marcheuse, Yazbek dénonce les horreurs de la guerre du point de vue d’une narratrice muette qui raconte à une personne inconnue son adolescence, la mort tragique de sa mère, la disparition de son frère et sa propre agonie. L’étrange manie de la narratrice, c’est qu’elle ne peut pas arrêter de marcher. Tout comme la Syrie, elle avance dès qu’on la libère et elle demeure courageuse même dans la défaite. Comme dans toute situation traumatique, le récit de La marcheuse nous touche et nous perturbe. En littérature (mais aussi en peinture, en cinéma, etc.) les récits de guerre témoignent, analysent, dénoncent. L’auteure n’appelle pourtant ni à baisser les armes ni à la désertion. Le temps des Boris Vian est révolu. [...] Mais alors que le témoignage n’arrête jamais une guerre, le rôle du récit demeure celui de combattre l’oubli volontaire, de réveiller les consciences inhibées, et peut-être aussi de célébrer la résilience des survivants. La planète secrète de la narratrice, celle qui lui permet de reprendre ses forces, témoigner du cauchemar et d’espérer s’en sortir, c’est la bibliothèque de son enfance, qui l’aurait formée et initiée à l’écriture et au dessin. C’est aussi la planète colorée du Petit Prince et d’Alice au pays des merveilles, cités et commentés à profusion par la narratrice. Tout près de sa planète, elle assiste au bombardement des hôpitaux, à la torture des prisonniers, aux disparitions et aux meurtres, alors qu’elle est liée par une corde au bras de son frère, à un lit d’hôpital ou aux barreaux d’une fenêtre dans un sous-sol abandonné. En tout temps, elle garde les yeux grands ouverts, dessine, écrit, communique. Alter ego de l’auteure, la narratrice raconte pour survivre. Alors qu’en arrière-fond du récit, la révolte pacifique des débuts se transforme en conflit armé [...]. Ainsi, bien que les atrocités de la guerre soient racontées comme une sorte d’hallucination sans fin ou comme un cauchemar sans nom, la narratrice reste résiliente. Elle s’évanouit, dort d’un sommeil profond ou se voit transportée comme une loque ; l’essentiel, c’est de demeurer en vie. Et même si la guerre est irrationnelle, même si certains la croient légitime, sur sa planète, Samar Yazbek continue de marcher contre la mort, contre l’oubli. May Telmissany, LE DEVOIR (CANADA) août 2018
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Une adolescente mutique à
travers l'apocalypse syrienne C'est un personnage extrême comme les circonstances qu'il traverse, qui capte le lecteur pour l'entraîner dans son histoire. L'adolescente narratrice qui incarne ici la cruauté mais aussi l'humanite de la guerre en Syrie a plus d'un handicap et autant de dons. Sa maladie principale, "la bougeotte", vient d'un cerveau moteur qu'elle situe elle-même au niveau de ses jambes. Celles-ci se mettent en marche toutes seules dès qu'elle est debout. Pour éviter qu'elles ne l'emmènent trop loin, Rima est attachée en permanence à sa mère, à son frère, au lit ou à la bibliothèque où elle dévore les livres. Ainsi, "la marcheuse" se retrouve toujours empêchée de mettre un pied devant l'autre. Autre paradoxe, elle n'a pas l'usage de la parole. [...] "Ce qui m'a vraiment aidée à connaître le monde extérieur, c'est mon mutisme", estime celle qui ne cesse d'écrire en plus de dessiner, en particulier le Petit Prince. C'est un tournant monstrueux du conflit syrien comme beaucoup d'autres que la jeune immobilisée raconte du fond d'un abri souterrain dans la banlieue de Damas, sous les raids aériens. [...] [Un jour,] une "odeur étrange" qui se répand. On comprend qu'il s'agit de l'attaque chimique du 21 août 2013, qui a fait plus de 1.300 morts. L'héroïne, touchée, vomit, a des boutons, est entourée d'enfants inertes, de femmes qu'il ne fallait pas déshabiller "par pudeur" alors que leurs vêtements sont contaminés par le gaz. "Ne meurs pas!" chuchote Hassan, un compagnon de son frère qui l'asperge d'eau, lui donne des claques qui la ressuscitent. Elle survit pour attendre les visites du jeune homme. "L'amour, c'est quand tous les muscles de mon corps deviennent aussi muets que ma langue", écrit Rima quand Hassan s'approche pour la soigner. Avec une impudeur dans la narration caractéristique de ses écrits ces dernières années. Samar Yazbek nous fait plonger dans l'horreur du conflit syrien, tel qu'il est ressenti dans la chair et la tête de ceux ou plutôt celles qui le vivent. Car c'est à travers les femmes que l'auteur a connues sur le terrain, à certains moments de cette guerre, qu'elle décrit la capacité de résistance face aux atrocités. "Peut-on échapper à la mort autrement qu'en se dressant devant elle? Ou tout du moins en la regardant dans les yeux?" Hala Kodmani, LIBERATION, août 2018
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