Le Livre des illuminations

Roman de Gamal Ghitany, traduit de l'arabe, présenté et annoté par Khaled Osman


Le texte qui suit est une version abrégée de la présentation de l'ouvrage par son traducteur.

Copyright Editions du Seuil, 2005.

Ecrit sur une période s’étalant de 1980 à 1986 et publié en édition complète en 1990, Le Livre des illuminations de Gamal Ghitany occupe une place tout à fait unique dans la littérature arabe contemporaine, et cela en raison de plusieurs audaces.

La première audace réside dans le sujet même du livre, exploration autobiographique poignante et d’une franchise absolue. Le prétexte de cette exploration tient en quelques mots : de retour d’un voyage hors d’Egypte, le narrateur apprend que son père est décédé durant son absence ; après une période de tourments, il décide de se lancer dans une quête intérieure pour revisiter sa propre existence, se pencher sur ce que fut la vie de ce père modeste et digne et analyser l’évolution de leurs rapports au fil des années. Cette fougue introspective suffirait à placer le Livre des Illuminations à part dans une littérature arabe qu’on sait naturellement rétive au "je".

Mais ce qui rend l’oeuvre si prenante – et c’est là la seconde audace – c’est le dispositif particulièrement ingénieux que l’auteur a imaginé pour procéder à cette exploration (...) Guidé par un mystérieux héleur qui a entendu son appel, notre héros est déféré devant le Divan, édifice fabuleux qui a compétence sur la marche du monde. Il reçoit l’autorisation de voguer en illumination, c’est-à-dire de balayer, flanqué de ses guides célestes, les lieux et les époques en vivant diverses expériences surnaturelles et en se jouant de toutes les barrières, qu’elles soient spatiales ou temporelles. Il peut ainsi assister à l’apparition d’êtres relevant d’autres époques, incarner temporairement leur personnalité, visionner des événements qu’il n’a pu vivre, dialoguer avec des êtres animés ou inanimés : tel fragment du sol où son père posa le pied, telle tige de palmier contre laquelle il s’appuya, telle nuée qui vint à son contact avant de s’évaporer. (...)

Pour nous conter ce périple, Ghitany utilise toutes les techniques narratives élaborées par le patrimoine littéraire arabe depuis les épopées de la geste arabe jusqu’aux Mille et une nuits : récits, fables, rêveries, délires, poèmes et perles de sagesse, entrelacs et emboîtements. Simplement, cet arsenal est ici mis au service d’un projet d’une étonnante modernité : l’exploration d’une vie dans toutes ses dimensions – personnelle, sociale, politique et religieuse. (...)

L’ambitieux projet de ce livre-somme appelait une forme qui fût à sa hauteur, et c’est peu de dire que le défi a été relevé, tant dans la construction du livre, qui s’affranchit de la linéarité chronologique pour suivre la forme d’une initiation dans la voie mystique, que par la langue, imprégnée de spiritualité du fait des nombreux fragments coraniques et de l’inscription de l’homme dans une cosmogonie qui débouche quelquefois sur la poésie pure. Cette structure à la fois limpide et complexe, cette langue à la fois simple et somptueuse, représentent probablement la troisième audace de cet ouvrage.

Pour toutes ces raisons, Le Livre des illuminations a été reconnu comme une tentative réussie de créer une forme romanesque spécifiquement arabe; nul doute qu’il mérite, de par la force de son sujet et par son innovation formelle, de prendre sa place parmi les grandes oeuvres de la littérature universelle...

Khaled Osman, septembre 2004