Le Collier de la colombe Roman de Raja Alem traduit de l'arabe (Arabie Saoudite) par Khaled Osman, en collaboration avec Ola Mehanna |
Deuxième roman de Raja Alem publié en France, après l’excellent Khâtem publié aux éditions Actes Sud dans la collection Sindbad, Le Collier de la colombe
nous entraîne dans une enquête policière au cœur même de la Mecque,
dans un passage étroit de la ville appelé Abourrouss. Un passage dans
lequel résonne l’âme de cette ville sainte, un passage qui décide de
nous livrer sa propre version de cette affaire, de ce meurtre terrible
d'une femme retrouvée nue et violentée, le visage défoncé, nous
présentant selon son point de vue les différents protagonistes de
l’affaire, et par là même nous entraîne dans sa propre histoire, dans
l’histoire de cette ville qui voit tous les musulmans du monde se
tourner quotidiennement vers elle et rêver de venir effectuer le
"hajj", le grand pèlerinage que chaque musulman doit y effectuer au
moins une fois dans sa vie. Derrière la circumambulation incessante autour de la Kaaba de ces pèlerins, cette vision première de la Mecque telle que la voit au début du roman l’inspecteur Nasser, vibre le désir brimé de ces hommes et de ces femmes, qu’il soit désir de l’autre, désir d’absolu, qui ne pourra jamais se vivre, étouffé par le poids des tabous. Raja Alem n’hésite pas à critiquer cette société qui aura, sous couvert de licite et d’illicite, séparé irrémédiablement les sexes, couvert les femmes pour qu’à aucun moment, on ne puisse ne serait-ce qu’imaginer leur apparence, au point que hommes et femmes ne savent plus à quoi ressemble l’autre, vivent dans la méconnaissance de l’apparence de son prochain. La frustration engendre ainsi le fantasme nécessairement inassouvi qui entrainera à son tour la violence... La fuite, virtuelle ou non, sera-t-elle la seule échappatoire possible? La fuite ou la mort? Ainsi même, durant tout le roman, c’est la ville même qu’on entend geindre, exprimant sa douleur et sa réprobation, face à la mutation qui transforme sans retour possible son visage ancestral et saint, se rappelant d’un temps pas si lointain où le visage des femmes se montrait et où la ville elle-même, et pas simplement son cœur, était considérée comme la terre sainte du prophète. Car ce cœur de la Mecque dont Abourrouss est la représentation la plus pure, sera bientôt remplacé par le jeu des promoteurs et de la spéculation immobilière par des buildings sans âme et des hôtels cinq étoiles. Un monde qui s’éteint irrémédiablement en voie de perdre les racines dans lesquelles se nourrit toute spiritualité. Ne restent que les aspirations d’une poignée qui, affamés d’absolu, seront prêts à tout pour garder le sens du pèlerinage, et de la présence de Dieu dans la Kaaba, attestée par le vol incessant au dessus d’elle des colombes à collier que plus personne ne regarde. Youssef, cet écrivain-journaliste qui, dans sa quête de l’amour d’Azza découvrira le sens profond de la sainteté de la Mecque est certainement le personnage le plus touchant et profond du roman… Il est aussi important de noter le remarquable travail de traduction fait par Khaled Osman, qui est parvenu à conserver et à transmettre dans notre langue le rythme et la poésie inhérents à la langue arabe. L’écriture de Raja Alem est une écriture exigeante et évocatrice, qui vous transporte au plus profond de l’âme de ses personnages. Certes, Le Collier de la colombe est un roman noir, mais il est en définitive bien plus que ça. En lançant sa collection "La cosmopolite noire", les éditions Stock exprimaient la volonté d’abolir la distance entre littérature et littérature policière. Ce magnifique roman de Raja Alem est ainsi, en inaugurant cette collection, l’expression la plus juste de cet objectif éditorial. C’est un roman qui, explosant les clichés et les a priori qui circulent dans nos sociétés occidentales, nous dépeint la réalité douloureuse, au travers de l’évolution inexorable de la ville sa plus sainte, d’un monde arabe déchiré entre un traditionalisme de plus en plus dogmatique et une aspiration à la modernité qui bouscule et détruit ses propres racines. Edité au Liban, Le collier de la colombe n’aura quasiment pas été diffusé en Arabie Saoudite. Une oeuvre magnifique et désespérée... |
Le Collier de la colombe... ou "hommage à un livre que je n'ai pas terminé" Curieuse façon de reprendre un blog essentiellement de lecture, en choisissant un livre que l'on n'a pas terminé! Reprenons donc les choses dans l'ordre; au départ trois choses m'avaient poussée à le lire : - son auteure est une femme, née en Arabie Saoudite, - il s'agit, a priori, d'un roman policier, genre que j'apprécie bien, - l'action se passe principalement à la Mekke, ville pour moi chargée de mystères. Je me suis donc plongée dans cette lecture avec gourmandise et je n'ai pas été déçue. Pendant les 350 premières pages (tout de même), j'ai suivi avec passion l'enquête, bien difficile, conduite par l'inspecteur Nasser : une jeune femme assassinée, le visage défoncé, a été retrouvée nue dans le passage d'Abouraouss proche de la Kaaba: c'est un quartier pauvre où vivent des personnages tourmentés aux liens complexes, partagés entre soumission aux traditions et désir d'une autre vie. Deux jeunes femmes manquent à l'appel, Aïcha et Azza, que l'on découvre cependant, comme l'inspecteur Nasser, au travers des mails que la première a adressés à son amant allemand et des textes enflammés rédigés par Youssef, jeune historien, habitant du passage, fou amoureux de la seconde et de sa ville, La Mekke. Petit à petit, on comprend à quel point celle-ci est également menacée par la corruption et un frénétique développement immobilier qui sont prêts à la dévorer. Alors que s'est-il passé? Trop de noms, trop de circonvolutions, trop de références, tout au moins pour moi. Mon avancée s'est révélée de plus en plus difficile jusqu'au moment où j'ai calé à 150 pages de la fin, sans connaître la clef de l'intrigue - c'est bien d'une histoire de clef qu'il s'agit ! - et même pas certaine qu'il y en ait une, d'ailleurs. Puis j'ai laissé reposer... pour m'apercevoir que ce livre en fait m'avait plu et qu'il était, à l'évidence, beaucoup plus profond que le résumé que je viens d'en donner. Ce n'est pas si fréquent que çà les livres qui vous secouent, qui vous emmènent dans des mondes (presque) inconnus, qui vous parlent des conflits d'aujourd'hui en empruntant le regard de l'autre, qui fait parler les femmes, qu'on imagine, à tort, soumises sous leur voile et les hommes, qu'on suppose vraiment conquérants dans leur besoin permanent de l'affirmer. Alors? Tentez l'aventure! J'aimerais beaucoup avoir d'autres avis, histoire de me donner envie de terminer les 150 dernières pages que je n'ai pas encore lues... Pour ma part, dans quelques temps, j'ai bien l'intention de m'aventurer du côté de Khâtem, une enfant d'Arabie (Actes Sud 2011), le seul autre livre de Raja Alem traduit pour l'instant en français. ANNIE, sur le blog UNE VIE A LIRE, février 2013 |
Tout d'abord ce n'est pas un roman policier, la victime n'est là que pour justifier l'errance à travers la Mekke contemporaine, mais aussi celle du passé, des différents personnages de l'histoire. Que dire d'un tel livre, il est absolument inclassable, à mi chemin entre les contes arabes, les sourates du Coran et les chants, il distille une poésie qui fait errer le lecteur à travers le quartier ancien où se déroule l'histoire, le sanctuaire de la Kaaba et bien d'autres lieux chargés d'histoire et de légendes. C'est aussi un regard sans concession sur le monde de la femme en Arabie à travers anecdotes, pensées, souvenirs du principal personnage féminin. A vrai dire il n'y a pas vraiment d'histoire mais un écheveau de sensations, échanges, pensées qui vous happent. La première partie (à peu près les deux tiers du livre) est vraiment fascinante, la deuxième semble partir sur une histoire différente qui se déroule en Espagne et qui finit par rejoindre la première. Je l'ai trouvée nettement moins prenante, plus classique dans l'écriture mais tout aussi incompréhensible, du coup le lecteur se lasse quelque peu. En résumé: un livre qui doit vraiment s'apprécier en arabe, car je pense que la traduction fait beaucoup perdre de la poésie de l'écriture, mais c'est quand même un quasi-chef d’œuvre car tellement envoûtant et à des années lumière de nos normes occidentales du roman. Je regrette seulement que la deuxième partie n'ait pas été traitée comme la première. Une dernière remarque: si au bout de 100 pages vous n'avez pas accroché alors il vaut mieux arrêter la lecture, car c'est vraiment le type de livre où il faut se laisser submerger par le récit. "LE MOTARD", sur le forum de lecteurs PARTAGE LECTURE, 30 janvier 2013 |