Roman
de Inaam Kachachi traduit de l'arabe (Irak) par Ola Mehanna et Khaled
Osman
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Inaam
Kachachi, le roman de la guerre d'Irak
Il n'y a décidément
que les écrivains pour redonner un visage au sanglant anonymat
des guerres. Alors que Bagdad est toujours ensanglanté par
les attentats[...], voilà qu'un extraordinaire
éclair d'écriture nous arrache à l'indifférence.
Dans l'un
des plus beaux romans de cette rentrée, Inaam
Kachachi met en scène la double tragédie de sa terre
natale: l'échec américain et l'humiliation irakienne.
[...]
Cette journaliste de Mossoul,
installée depuis vingt ans à Paris, a revu brièvement
son pays à l'été 2003. Visages et témoignages,
depuis, ne cessent de la hanter.[...] Elle revient aujourd'hui avec
une héroïne qui lui ressemble comme une soeur. Zeina,
qui "tient enfermé dans sa main le charbon d'une
vie à nulle autre pareille". [...]
Inaam Kachachi s'appuie
sur une réalité cachée et gênante: car
ils ont été ainsi des centaines à répondre
à l'appel du Pentagone en quête de traducteurs. Les
Irakiens de Seattle ou de Chicago étaient attirés
par les milliers de dollars de primes de risque autant que par l'aimantation
du pays perdu. Un coeur irakien sous un uniforme américain:
le choix de Zeina nous précipite au coeur de la guerre, là
où bouillonnent les humiliations et se succèdent les
atrocités. Ses deux identités bataillent, la soudant
alternativement aux familles de Tikrit réveillées
en pleine nuit par un commando à l'affût des terroristes,
et aux jeunes soldats de la bannière étoilée
foudroyés dans le cimetière des mensonges bushistes.
Maudite par sa grand-mère
- veuve d'un colonel de l'armée irakienne -, amoureuse d'un
cousin qui a rejoint la guérilla antiaméricaine de
Sadr City, en larmes sur la tombe des conscrits américains:
Zeina incarne l'horreur métissée des guerres.
Comme
tout grand écrivain, Inaam Kachachi ne peut pas mentir.
Elle refuse de voir une identité l'emporter sur l'autre.
Ni vainqueurs ni vaincus: seule la douleur aura le dernier mot,
dans
une langue qui mêle la pudeur de Bagdad
et l'humour de Manhattan. Un diamant.
Martine Gozlan, MARIANNE,
5 au 11 septembre 2009
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Rien à voir
avec un docu-fiction ou un roman politique déguisé. Le
lecteur entre ici dans une histoire tout à fait romanesque. Et pourtant,
les blessures de la guerre y sont plus présentes et cuisantes que
dans n'importe quel reportage. Nous voici sur les pas de la
jeune Zeina, chrétienne d'Irak immigrée aux États-Unis, qui devient
interprète pour l'armée américaine. Ses parents ont fui le régime
de Saddam Hussein - le père, journaliste, avait été torturé par ses
sbires. Zeina, elle, alléchée par le paquet de dollars au bout de
sa mission, mais aussi (et surtout) aimantée par le pays de ses racines,
se retrouve bientôt sous l'uniforme yankee, à hanter les palais dévastés
de l'ancien tyran, à participer aux raids punitifs dans les quartiers
de Tikrit ou de Bagdad.
Jusqu'à perdre
la certitude quelle est du bon côté de l'Histoire et à se laisser
envahir par le goût amer de la trahison. L'écrivaine Inaam Kachachi,
elle-même chrétienne d1rak exilée à Paris, sait dire comme personne
la déchirure irréductible entre deux mondes que tout oppose, la plaie
jamais refermée que les émigrés portent en eux, le sentiment
d'éternel exil de soi. Debout au milieu du désastre, se tient l'admirable
et cocasse figure de la grand-mère retrouvée, fille têtue de
Mossoul, la ville du Nord et des citrons doux, qui s'entête à prier
et à convoquer tous les saints du Paradis pour conjurer le malheur.
En vain. Le roman d'Inaam Kachichi est une ode
au «chagrin magnifique», celui qui berce et demeure comme le sel d'une
identité engloutie.
Marie
CHAUDEY, LA VIE, 3 décembre 2009
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Le
"treillis de la honte"
Les déchirements
d'une Irakienne naturalisée revenue à Bagdad comme traductrice
pour l'armée américaine.
En 2003, après la
chute du régime de Saddam Hussein, la journaliste [Inaam
Kachachi] est retournée dans son pays natal. De ce séjour,
elle a rapporté Si je t'oublie Bagdad, un premier
roman singulier, touchant quoique inégal
dans sa facture[...].
Singulier, ce roman l'est
par la voix emplie de chagrin, de doutes et d'atermoiements qui
s'y exprime dès les premières pages. [...]
Côtoyant la petite
communauté arabe de Détroit, Zeina n'a rien perdu
de cette langue que son père lui a inculquée à
travers la littérature et la poésie arabes. Alléchée
par les émoluements [...], la jeune femme s'engage malgré
les réserves de sa mère. Et revêt le "treillis
de la honte", comme le désignera plus tard, sa grand-mère
qu'elle va retrouver dans une ville défaite, occupée
par ses [compatriotes].
Plus que la description
de cette occupation, saisie à travers le regard d'une jeune
femme naïve, abreuvée d'images de Fox News et persuadée
de la justesse de sa misson, c'est dans un face-à-face dramatique
et émouvant que réside le coeur du livre: entre "la
petite-fille américaine" (titre original du livre) obligée
plus que d'autres à se cacher pour sortir de la "zone
verte" et une maîtresse-femme rude, drôle et prête
à tout pour ramener Zeina dans le droit chemin et lui rappeler
ses origines.
Malgré de fréquentes
et inutiles interpellations de la narratrice à la romancière,
lesquelles freinent le rythme de la narration, on
se laisse gagner par ce roman qui dessine avec justesse et émotions
les déchirements d'un pays et d'une femme à jamais
entre deux rives.
Christine
Rousseau, LE MONDE DES LIVRES, 4 septembre 2009
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[...]
Inaam Kachachi signe
avec Si je t’oublie, Bagdad un poignant
roman d’actualité et un authentique pamphlet antimilitariste
contre l’absurdité de la guerre. La prise de conscience progressive
de la jeune Zeina épouse la découverte de la réalité irakienne. Les
attentats quotidiens, les crimes et les destructions provoquées par
les soldats américains et surtout les rencontres avec sa grand-mère
et les autres membres de sa famille restés là-bas transforment peu
à peu ses doutes en certitudes effrayantes. Le
regard sans concession qu’elle finit par jeter sur la guerre en Irak
est renforcé par le style direct et percutant d’Inaam Kachachi.
Les événements officiels de la grande histoire tels que le scandale
de la prison d’Abou Ghraïb, les visites de Donald Rumsfeld et Condoleezza
Rice, la fin du mandat présidentiel de George W. Bush sont vécus à
travers le prisme de l’indignation de Zeina.
Semblable au héros du
Journal de Carnojevic de Milos Crnjanski qui est engagé dans
le camp adverse lors de la Première Guerre Mondiale, Zeina lit dans
les regards des Irakiens une haine supérieure à celle de ses camarades,
la haine des traîtres. À la manière d’une tragédie grecque, le dénouement
de l’histoire compte moins que son déroulement. Truffé de références
au cinéma populaire américain (Le Fugitif, King Kong, La Tour
infernale...), Si je t’oublie, Bagdad
offrirait un profil idéal à une
adaptation au grand écran. Mais de ce livre, il faut surtout
retenir la réflexion profonde d’Inaam Kachachi : « Elli mdayyaa
watan wayn al-watan yelqâh... Celui qui a perdu sa patrie, comment
la retrouvera-t-il ? »
Alexandre
Drier de Laforte, Note de lecture sur le site du CENTRE NATIONAL DU
LIVRE, octobre 2009
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Quand l'armée
américaine recherche des interprètes pour accompagner ses troupes
en Irak, Zeina n'hésite pas un instant. C'est l'occasion pour elle
de retrouver la terre de ses parents, sa grand-mère. Plus qu'une interprète,
elle sera celle qui initiera les soldats américains à la culture de
son pays. Mais la réalité sera tout autre. Rejetée par sa grand-mère
qui l'accuse d'avoir trahi sa terre au profit de son pays d'adoption,
elle réalise qu'elle doit cacher son appartenance à l'armée américaine,
notamment lorsqu'elle rencontre son frère de lait, un soldat de l'armée
du peuple. Un retour
aux sources douloureux qui conduira Zeina à une véritable remise en
question.
Dans
une langue pleine de poésie et de fraîcheur,
Inaam Kachachi nous fait découvrir le conflit irakien de l'intérieur,
à travers le regard fier et déterminé de la grand-mère de Zeina, refusant
l'ingérence des Etats-Unis.
Ce roman évoque
aussi avec
brio toute la difficulté à se trouver une identité quand
on se sent étranger dans le pays où l'on vit comme dans le pays où
l'on est né.
Guide
de la rentrée littéraire, LIRE/VIRGIN, septembre 2009
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